En marge de ses vœux à la presse, la ministre Fleur Pellerin indiquait à un journaliste, avoir un « plan pour les Archives ». Cette intervention faisait suite à un satisfecit sur l’augmentation du budget du ministère.
Deux questions se posent donc : quelles sont les retombées concrètes pour le réseau des services publics d’archives de cette augmentation budgétaire ? Quel est ce plan attendu avec impatience ?
Le Conseil supérieur des archives serait sans doute la meilleure instance pour le présenter. Malheureusement, il n’a pas été réuni depuis 2013, alors que son arrêté de création prévoyait une séance ordinaire par an au minimum. Si nous demandons donc sa convocation dans les plus brefs délais, nous souhaitons préciser dès aujourd’hui quelles sont nos attentes.
Réformes législatives et conséquences sur les archives
S’agissant du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP), nous regrettons amèrement que les points « archives » aient été abordés uniquement par la voie d’amendements parlementaires. Très clairement, le projet présenté initialement n’envoyait pas un bon signal pour la prise en compte des archives dans la politique du ministère pour le patrimoine, malgré le travail effectué en amont par la communauté des archivistes.
Rappelons que le projet de loi LCAP avait – entre autres – pour origine une volonté de réforme de la loi de 2008 sur les archives, et plus particulièrement la révision des délais de communicabilité des archives et la légalisation des mutualisations pour l’archivage électronique. Nous en sommes loin, même si des avancées peuvent être constatées grâce aux amendements.
Les archives seront également concernées par la loi « numérique ». La conjugaison de ces deux projets de lois pose la question du positionnement de l’archiviste au sein de la société : l’archiviste n’est pas qu’un gestionnaire de papiers ; les archives sont aussi électroniques, comme le reconnaît d’ailleurs le projet de loi LCAP amendé par l’Assemblée nationale et le Sénat.
Si le programme VITAM, sous la tutelle du délégué interministériel des archives de France, et ses développements ministériels Adamant, Archipel et Saphir, vont dans le sens d’une reconnaissance renforcée de notre fonction essentielle dans la société de l’information, nous souhaitons que cette place soit affermie et reconnue avant même l’aboutissement de ce projet en nous plaçant de manière forte comme des acteurs indispensables des projets numériques innovants.
Une autre loi a des répercussions sur les archives : la loi NOTRe. Cette réforme a des conséquences indéniables sur les versements d’archives publiques effectués par les services déconcentrés de l’État : quels sont les moyens humains alloués pour accompagner ces mutations ? Quelle place aussi pour les Archives départementales dans la nouvelle organisation de la République, notamment pour les services situés dans les chefs-lieux de région ?
Un réseau de services publics d’archives en cours de fragilisation
Issus de la Révolution, les services d’Archives départementales et d’Archives nationales constituent un réseau territorialement dense. Pourtant ces services font face à de lourdes menaces.
La dernière grande vague de construction ou extension de bâtiments d’archives remonte aux années 1990. Faute de soutien suffisant de l’État, et dans un contexte d’incertitudes sur l’implication des conseils départementaux dans le domaine culturel lié notamment à la baisse des dotations de ce même État, les programmes immobiliers pour les archives se font -trop- rares. La conservation des archives à venir est ainsi clairement hypothéquée. Quel soutien offre notre ministère aux services d’Archives départementales, sachant qu’une grande partie de leurs fonds émanent de l’État et de ses services déconcentrés ?
Très tôt, ces services ont par ailleurs été dotés de services éducatifs actifs. Aujourd’hui, nous avons les plus grandes craintes sur le retrait des mises à disposition (annoncé pour 2017) de professeurs dans ces services par l’Éducation nationale, alors que l’éducation artistique et culturelle est affichée comme une priorité de ces deux ministères (Éducation nationale et Culture). Les services d’archives mènent des actions d’insertion sociale et culturelle dans le sens d’une culture commune et variée, du « vivre ensemble » et de l’éducation à la citoyenneté, et contribuent ainsi à la valorisation de la culture. Quels moyens humains pour la pérennisation des services éducatifs ? Quel plan stratégique pour la reconnaissance et le développement de ces missions dans les services publics d’archives ?
Se pose également la question de la reconnaissance des personnels de l’État mis à disposition dans les Archives départementales : leur place dans l’organigramme de la préfecture et dans celui de la collectivité territoriale d’accueil est trop souvent problématique ; le manque de reconnaissance par le SIAF pour ceux qui ne sont pas chefs de service est récurrent ; enfin le système de primes, inégalitaire entre les personnels du ministère et les personnels en fonction publique territoriale, ne peut que nous interroger sur la volonté du ministère de tutelle à reconnaître nos compétences. La combinaison de ces trois facteurs engage votre responsabilité, et celle de l’État : il en va de la crédibilité de notre ministère pour ces agents oubliés par l’administration centrale, alors qu’ils en constituent une des forces vives.
Nous nourrissons enfin les plus vives inquiétude quant au déséquilibre entre les départs en retraite de personnels scientifiques et techniques des archives, tant nationales que départementales (archives de l’État), malgré l’ouverture de concours et de recrutements, trop peu nombreux. Ce sont nos missions et le service public qui sont aujourd’hui en jeu.
Trois services à compétence nationale en crise
Faut-il aussi rappeler la situation des Archives nationales (Paris-Pierrefitte-Fontainebleau), des Archives nationales du monde du travail (Roubaix) et des Archives nationales d’outre-mer (Aix-en-Provence) qui, elles aussi, traversent une grave crise d’identité, liée à des problèmes de personnel, de missions, de périmètres d’actions et de bâtiments ?
Nous attendons avec inquiétude, depuis bientôt deux ans, la prise de décision officielle sur l’avenir du site de Fontainebleau. Quelle que soit cette décision, le silence du ministère permet de douter de la sincérité de son investissement en faveur des archives. Cette attente devient aujourd’hui insupportable pour les agents directement concernés mais aussi l’ensemble du réseau et de la profession. Elle atteint aussi les citoyens qui ne peuvent faire valoir leurs droits (retraite, nationalité).
Nous attendons aussi l’engagement du chantier de rénovation du site parisien des Archives nationales, qui devait suivre l’ouverture du site de Pierrefitte. Dans le contexte actuel de forte pression immobilière que subit le Ministère de la Culture, nous serons vigilants sur la prise en compte préalable de l’ensemble des besoins des Archives nationales, sans oublier le SIAF ni le département Formation de la DGPat, qui œuvre pour l’ensemble du réseau : le site historique des Archives nationales ne saurait devenir un site muséifié.
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Dans ses discours successifs sur la citoyenneté et la démocratie, la ministre Fleur Pellerin a évoqué, la place des archives comme pivots et garants du bon fonctionnement de notre société. Ces bonnes intentions affichées n’ont malheureusement pas débouché sur des actions concrètes. L’impression est forte que rien n’est fait pour régler quoi que ce soit ; les situations tendues ne font que s’exacerber du fait ce cet immobilisme.
Nous attendons désormais des actes en faveur des services d’archives. Quelles décisions prendrez-vous pour la pérennisation de nos missions ? Il en va de votre responsabilité et de votre crédibilité d’abord envers les citoyens, afin de leur permettre la reconnaissance de leurs droits, ensuite envers les archivistes, afin de leur permettre de continuer à préserver la mémoire de la Nation et de la transmettre à tous.
Dans son discours à l’occasion de l’inauguration du site de Pierrefitte, le président de la République, François Hollande, s’affligeait « d’avoir pu […] voir ce que la barbarie était capable d’infliger au passé : détruire les traces, les écrits, les monuments, les symboles ». L’indifférence, Madame la Ministre, détruit aussi, plus lentement, mais presque aussi sûrement.
CFDT-CULTURE, section Archives
Paris, le 18 février 2016
Télécharger le communiqué : Madame la Ministre, quelle politique pour les Archives ?