Les Archives nationales font ces derniers temps régulièrement la une des gazettes. Le 25 mai, un article du Figaro annonce la fermeture prochaine du site de Fontainebleau ; le 4 juin, c’est au tour du Monde d’annoncer un « Dépoussiérage des Archives », dans un article consacré à la problématique des trois sites des Archives nationales, et plus largement à celle de la collecte des archives contemporaines. Le JDD, Les Échos – et sans doute d’autres encore – s’intéressent également de près ces jours-ci aux mètres carrés des Archives.
Mais quelle mouche pique donc les journalistes ? Sauf à se voiler la face, il paraît difficile de voir là autre chose que des articles liés à une campagne « d’information » du ministère de la Culture au moment où des décisions cruciales doivent être prises concernant les implantations des Archives nationales. Fontainebleau et Paris sont bien évidemment directement concernés. Rappelons que le premier site a été fermé préventivement il y a deux ans par l’administration (mars 2014) en raison du constat de désordres structurels observés dans les bâtiments. Les locaux du site de Paris se retrouvent pour leur part au cœur d’un projet réduction des implantations de l’administration centrale de l’administration centrale du ministère : vente d’immeubles (Richelieu et Pyramides), cessation de bail (rue Beaubourg), concentration des agents dans les bâtiments restant dans le giron du ministère (Bons-Enfants et Quadrilatère des Archives nationales). Ce projet n’est pas étranger à la spéculation immobilière qui sévit dans l’hyper-centre de Paris.
Rappelons quelles sont les orientations de la rue de Valois et de son administration sur ces deux dossiers :
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fermeture définitive du site de Fontainebleau et lancement de la construction d’une extension sur le – tout récent – site de Pierrefitte-sur-Seine afin de compenser la capacité de stockage perdue à Fontainebleau (200 kilomètres linéaires), orientation exposée par le directeur général des patrimoines en novembre 2015 ;
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installation dans une partie des locaux du site parisien de plusieurs centaines d’agents de l’administration centrale du ministère. Une partie des magasins parisiens des Archives nationales serait réhabilitée tandis que l’autre serait transformée en bureaux, salles de réunion et cantine.
Les journalistes, porteurs de la bonne parole
Il est étonnant de constater que le ministère semble dispenser ses orientations à tout crin vers les journalistes, quand dans le même temps les agents et leurs représentants syndicaux attendent le bon vouloir du Cabinet ou de l’administration pour obtenir un minimum d’informations. Mais, le principal en période pré-électorale est de préparer le public extérieur – autant d’électeurs potentiels – aux oppositions que pourraient conduire les agents concernés directement par de telles décisions. Et pour valider ces orientations, le Ministère alimente complaisamment les journalistes en éléments de langage et informations plus ou moins déformées.
À Fontainebleau, la fermeture serait ainsi, pour le Figaro, « l’occasion d’en finir avec une gabegie d’argent public » : en effet, les frais de fonctionnement et de personnel auraient été multipliés par trois, rien que cela !, à cause des allers et retours entre ce site, Paris et la Seine-Saint-Denis. Allant plus loin, l’article parle d’un site qui… « s’effondre » (sic) et évoque l’inondation qui a endommagé une partie des fonds, oubliant de préciser que ce sinistre est en bonne partie imputable à l’administration elle-même, qui a pris la décision de fermeture absolue du site au nom du principe du « risque zéro » dont la CFDT-Culture, section Archives a déjà pointé les effets pervers. Pour mémoire, le projet de « refondation des Archives » conçu dans les années 2000 avait pour principal mot d’ordre « les Archives nationales sur trois sites »…
L’article du Monde développe une argumentation plus pernicieuse. Il présente ainsi le Quadrilatère des Archives comme un site inaccessible aux Parisiens et touristes, et l’opération immobilière ministérielle comme un moyen de le rendre « ouvert » et « vivant ». Rappelons ce que l’administration a oublié de mentionner dans ses éléments de langage, à savoir que les jardins du Quadrilatère étaient ouverts au public jusqu’aux attentats de 1995, et que l’hôtel de Rohan est mis en valeur depuis des décennies par les Archives nationales via des visites guidées et des ateliers éducatifs. Rappelons également que les jardins et la ruelle de la Roche sont déjà ouverts au public depuis cinq ans !
M. Lemoine, cité à quatre reprises dans l’article, dit vouloir faire du site un lieu « vivant » (pense-t-il aux promeneurs ? aux touristes ? à de « l’événementiel » ?). Non seulement ce lieu est loin d’être « mort », mais surtout il répond à une fonction archivistique définie : rappelons donc ici que ce site est depuis 1808 un site principalement dédié à la conservation et à la communication d’archives au public. Pour ce faire, les Archives nationales ont besoin d’espaces et d’équipements adaptés. Or elles sont en passe de perdre des magasins de conservation, en raison de la double condamnation de ceux qui sont situés en sous-sol et de ceux qui sont promis à la transformation en bureaux pour agents du ministère contraints de se reloger.
Mais ce sont là de faux problèmes, puisque, comme s’interroge ensuite l’article, « l’État ne conserve-t-il pas trop de documents ? ». Revoir à la baisse la collecte d’archives pour régler les problèmes immobiliers, il fallait y penser : oserait-on le même raisonnement pour des collections muséographiques ?… Si le débat sur la collecte et la sélection des archives contemporaines est légitime, doit-il se tenir dans la presse ? Ne devrait-il pas se tenir en premier lieu… avec les archivistes et les historiens ? On mesure du reste les risques d’une telle communication par voie de presse quand on lit la première phrase de l’article : « Le problème des archives, c’est qu’elles n’intéressent pas grand monde ». Les professionnels des archives, qui accueillent chaque année, dans leurs services et sur leurs sites internet, des centaines de milliers de lecteurs, de visiteurs et d’élèves, apprécieront.
Immobilier des Archives : nos positions
Dans un souci de maintien de la réserve foncière et des capacités de stockage à long terme, par considération également pour les personnels ayant fait le choix de s’installer sur place au moment de la réorganisation du SCN Archives nationales, la CFDT-Culture avait, fin 2014, fait la proposition du maintien du site de Fontainebleau, pourvu que soit repensée sa vocation.
Concernant le site parisien, la CFDT-Culture a déjà fait savoir qu’elle n’était pas opposée au principe d’accueil sur le site des Archives nationales de personnels de l’administration centrale du ministère (direction des patrimoines et formations uniquement). Mais la CFDT-Culture pose une condition à ce scénario : que soient tout d’abord pris en compte les propres besoins des Archives nationales pour leur fonctionnement et leur développement sur ce site tout en anticipant les répercussions d’une éventuelle fermeture de Fontainebleau. Si celle-ci était confirmée, une partie des fonds et personnels de Fontainebleau ne devraient-ils pas pouvoir trouver place sur le site de Paris aussi bien que sur celui de Pierrefitte ? Cette fermeture bouleverserait l’équilibre général de l’institution Archives nationales. Elle nécessiterait de repenser son fonctionnement et son développement sur le long terme, mais aussi de corriger l’actuel déséquilibre entre Paris et Pierrefitte.
Le site de Paris ne doit pas être vivant uniquement pour les touristes et les promeneurs, mais aussi garder sa vocation de service d’archives actif, assurant donc nécessairement une fonction de collecte d’archives (fonds privés d’Ancien Régime, fonds d’historiens, dossiers de clients des notaires, etc.). À ce titre, les agents des Archives nationales doivent savoir que l’un des scénarios présenté au Conseil immobilier de l’État (CIE) prévoit l’installation, en plus des quelques 300 agents d’administration centrale, de 140 agents d’un « opérateur » (établissement public) dans l’hôtel de Boisgelin et dans les magasins Temple et Quatre-Fils. Ce scénario est pour nous inenvisageable : nous nous opposerons à un projet qui aboutirait à l’entassement des agents des Archives nationales et de l’administration centrale ainsi qu’à l’amoindrissement des capacités de conservation des Archives nationales, cela dans l’unique but de se plier aux impératifs de « performance économique » du CIE. Les tutelles doivent assumer les conséquences de leur décision de vidage des sous-sols du CARAN, et donc conserver les magasins Temple et Quatre-Fils à usage d’espaces de conservation d’archives.
La CFDT-Culture dit donc :
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OUI à l’accueil sur le Quadrilatère des Archives de personnels de l’administration centrale du ministère, relevant uniquement de la sphère patrimoniale ;
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NON à un projet qui ne tiendrait pas compte d’une éventuelle fermeture de Fontainebleau, de la possibilité d’accueil d’une partie des personnels, voire des parties de fonds, de ce site, et du nécessaire rééquilibrage Paris/Pierrefitte.
En conséquence, nous rejetons le scénario de sur-densification, dit « 1b », prévoyant l’installation sur le site d’un opérateur extérieur au ministère, et demandons le maintien dans le giron des AN de de tous les magasins situés en surface – ou l’équipement en linéaire équivalent –, afin de faire du Quadrilatère des Archives autre chose qu’un site muséifié.
CFDT-CULTURE, section Archives
Paris, le 14 juin 2016
Télécharger le communiqué : CFDT-Culture : Immobilier des Archives : à quoi joue l’administration ?