Rennes, le 17 décembre 2013
Les agents de la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bretagne
à
Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre,
L’ensemble du personnel de la Direction régionale des affaires culturelles de Bretagne tient à vous exprimer sa très vive inquiétude à la suite de l’adoption par l’Assemblée Nationale de la loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles, et des propos tenus par le Premier ministre à l’occasion de la signature du Pacte d’avenir vendredi 13 décembre.
En rendant possible la délégation de compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales et futures métropoles dans le domaine de la culture, cette loi ébranle dangereusement l’ensemble de l’édifice des politiques publiques de la culture.
Depuis plus de 50 ans, grâce à la clause de compétence générale, celles-ci se sont construites sur un principe – la coopération entre collectivités publiques, dans le respect des politiques de chacune – et un mécanisme – celui des financements croisés –, qui ont donné naissance à une création indépendante, riche par sa valeur et sa diversité ainsi qu’à une protection, une valorisation, une connaissance accrue du patrimoine (architectural, archéologique, objets mobiliers).
Les agents du ministère de la Culture en Bretagne s’alarment que soit remis en cause ce modèle qui a fait ses preuves.
L’Etat doit conserver ses prérogatives et ses responsabilités dans tous les domaines de la culture. Par le biais de ses services déconcentrés, lui seul peut garantir, sur l’ensemble du territoire national, un égal accès de tous à l’art et à la culture, la liberté de la création artistique et le haut niveau du contrôle scientifique et technique.
Sa présence en régions via les DRAC permet de conjuguer une approche territoriale et une vision nationale de la politique culturelle. Elle est un rempart contre le risque d’instrumentalisation de l’art et de la culture : que les élus locaux peuvent à l’occasion servir, mais par lesquelles ils peuvent être vite asservis : intérêt économique, attractivité du territoire, clientélisme électoral…
Quel sens y aurait-il en outre pour l’Etat à déléguer l’exercice de compétences que son organisation déconcentrée, sa ressource humaine et son expertise métier présentes au plus près du terrain lui permettent de mettre en oeuvre par lui-même ? Comment ne pas faire le lien entre les conséquences promises par cette loi de décentralisation et les suppressions massives de postes dont sont menacées les DRAC dès 2014 ? Comment ne pas craindre que l’objectif caché de cette hâte à déléguer ne soit, une fois de plus, à terme, la recherche obstinée et dénuée de vision d’économies budgétaires, qui ne ferait que poursuivre une RGPP de sinistre mémoire et précipiterait un démantèlement du ministère de la Culture dont nous n’osons croire qu’il soit prémédité.
Enfin, comment une collectivité délégataire pourrait-elle, sans risque de concurrence avec d’autres collectivés mener de front sa propre politique culturelle et celle (ou une partie de celle) que lui aurait déléguée une autre collectivité, les objectifs de l’une et de l’autre, les visions dont chacune procède ne pouvant que différer ?
OUI à une coopération renforcée et mieux organisée entre collectivités, pour une convergence et une efficience accrues des politiques publiques de la culture,
OUI à une simplification administrative si elle se révèle nécessaire,
NON à la délégation et au transfert, qui n’auraient pour conséquences que de vider le MCC de sa substance et de sa raison d’être, de le réduire à une instance prétendûment stratège, édictrice et contrôleuse de normes, et donneraient le signal d’une « vente à la découpe » rendant impossible toute politique nationale digne de ce nom, tant l’interaction entre les domaines (patrimoine, création…) est essentielle à sa cohérence.
Nous ne sommes pas les premiers et les seuls à vous interpeller sur cette question ; unanimes, l’ensemble des syndicats d’employeurs et de salariés du secteur culturel vous ont fait part de leur vive inquiétude ; des associations d’élus (la FNCC notamment) s’inquiètent aussi de cette délégation de compétence et de ses conséquences.
Le personnel de la Direction Régionale des affaires culturelles de Bretagne s’investit fortement à promouvoir la politique culturelle de l’État en collaboration étroite avec les divers acteurs publics ou privés (collectivités territoriales, compagnies, artistes…), ne comptant pas le temps passé mais l’obtention du résultat attendu. Il ne comprendrait pas que l’État fasse fi de leur métier et de leur investissement dans la promotion de la politique culturelle de l’État français.
Nous attendons, Monsieur le Président de la République, une réponse urgente de votre part et surtout une position claire sur le principe de délégation de compétence qui nous semble compromettre la compétence d’intérêt national de la culture.
Dans l’attente de vous lire, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre l’expression de notre très haute considération.
Les agents de la DRAC Bretagne (78 signataires)
Copie : Madame la Ministre de la Culture et de la Communication pour information et suite à donner
Télécharger la lettre : Lettre des agents de la DRAC Bretagne au Président de la République