Depuis la mise en application des lois de décentralisation en 1986, l’État met à disposition des conseils généraux des personnels, chargés de missions de pilotage, d’encadrement scientifique et d’exercice du contrôle scientifique et technique sur les archives publiques. Depuis 2008, le code du patrimoine fait d’ailleurs obligation de recruter les directeurs d’archives départementales dans le corps des conservateurs du patrimoine de l’État.
Ces personnels d’État savent, en théorie, qu’ils sont sur un siège éjectable, aux ressorts plus ou moins sensibles. Mais quand cette théorie devient réalité, le choc est violent.
Cette situation d’instabilité a, en trente ans d’existence, créé des incidents. Ces coups de semonce ont alerté les représentants des personnels, la CFDT en tête, qui ont demandé à consolider la position des agents concernés. Après des années d’insistance, un système de convention tripartite valable 3 ans (État, conseil général, agent mis à disposition) a été mis en place, depuis juillet 2010, sans réelle garantie juridique toutefois.
Or force est de constater que, malgré cela, les difficultés subsistent, voire augmentent et que le nombre d’agents éjectés par les conseils généraux, de façon plus ou moins ouverte, de manière plus ou moins brutale, ne connaît pas une courbe décroissante.
Les causes n’étant souvent pas exprimées, il est difficile de les définir. En revanche, les modalités selon lesquelles les choses se déroulent posent de graves questions.
La mise à disposition est au départ, une entente entre trois partenaires. Ces trois partenaires se réunissent pour travailler ensemble, dans des conditions définies par les textes mais aussi par la convention.
C’est ainsi que les choses se passent lors des recrutements des directeurs (les conseils généraux ne sont en principe qu’avisés des nominations des autres agents) : le candidat se présente au cours d’un « entretien » (qui peut prendre des allures de jury), avec des représentants de l’État et de la collectivité concernée, qui a le dernier mot.
Quand c’est l’État ou l’agent qui décide de mettre fin à cette mise à disposition, cela se passe dans des conditions bien balisées, où la transparence est de mise : publication de postes, demande de mutation, commission paritaire, délai de prise de fonction, publication du poste laissé ainsi vacant, etc.
Quand c’est le conseil général qui décide, sa volonté est énoncée comme impérative, souvent présentée avec un caractère d’urgence. L’invocation d’une raison n’est même pas forcément considérée comme nécessaire.
Les cas de ce genre, où le conseil général « met à la porte » sans égards, surtout les directeurs d’archives départementales, plus exposés, se produisent trop souvent.
On pourrait penser que, face à un conseil général abusif, vis-à-vis d’un de ses agents agressé, le troisième partenaire, l’État, aurait une attitude à tout le moins temporisatrice et médiatrice. Or, il ne cherche semble-t-il jamais à s’interposer entre les deux parties en conflit mais vient le plus souvent se soumettre aux désirs du conseil général en « exfiltrant » l’agent le plus vite possible. Au cas où l’agent, humilié et blessé par le conseil général, voudrait faire valoir que la convention tripartite lui donne certains droits, au moins de considération, il n’est plus que le témoin désabusé de la grande faiblesse de son employeur, à savoir le ministère de la Culture, au travers de son Inspection des patrimoines et du Service interministériel des Archives de France. L’absence de recours et de soutien de sa tutelle pour un agent désavoué par sa hiérarchie directe peut induire des risques psycho-sociaux majeurs. Un agent territorial soumis à de semblables difficultés trouvera à tout le moins une nouvelle affectation dans la collectivité même ou une autre voisine, sans être contraint de faire ses valises.
Cette attitude est pour le moins douteuse : comment continuer à affirmer qu’une convention est tripartite lorsqu’elle est passée entre des partenaires qu’on traite de façon si inégale ? Comment espérer que les agents ainsi mis à disposition puissent oeuvrer dans la sérénité s’ils savent qu’en cas de difficultés, ils n’auront même pas le droit de comprendre ce qu’on leur reproche et que leur recours naturel se détournera d’eux ? Comment s’étonner que les postes à responsabilité soient devenus si peu attractifs que, pour certains, de plus en plus nombreux, on doive chercher désespérément des candidats, voire accepter des intérims de plus en plus longs ?
Le désengagement de l’État auprès de l’ensemble de ses agents mis à disposition est du reste de plus en plus réel : ils ne sont plus depuis longtemps représentés aux comités techniques des DRAC, n’ont plus accès à la médecine du travail d’icelles, et de moins en moins aux remboursements de stage et formations. Nous demandons que l’État rétablisse sa dignité de partenaire et celle des agents qu’il met à disposition, en réaffirmant son autorité régalienne de contrôle sur le réseau des archives. Faute de quoi, la réforme territoriale annoncée, et notamment la suppression des conseils généraux, pourrait rendre rapidement la question d’actualité en consacrant définitivement le désengagement de l’État et en décidant la suppression des archivistes d’État dans les départements.
L’agent mis à disposition d’un conseil général est par principe un bon agent et doit être traité avec toute la considération qu’il mérite et non comme un pestiféré en cas de conflit au sein de sa collectivité. Il a notamment droit à faire valoir sa défense. Le Ministère dispose de toute une batterie de moyens (évaluation annuelle, inspection, etc.) qui, utilisés à bon escient, doivent l’alerter sur les situations problématiques et lui permettre d’intervenir. En dépit d’une plus grande fréquence dans la tenue des entretiens d’évaluation des directeurs, force est de constater que les crises entre directeurs d’archives et collectivités n’ont toujours pas pu être endiguées en amont. L’avenir de la profession, l’avenir des archives de l’État et des collectivités publiques dans les territoires dépendent d’une solution apportée à cette faiblesse structurelle née du caractère précaire de la mise à disposition elle-même.
Une question corollaire mais néanmoins extrêmement sensible est celle de la transparence des modalités d’attributions de postes : pourquoi attendre des mois avant des publications ne donnant qu’un minimum de temps aux candidats potentiels pour postuler (dans le cadre d’une mobilité à l’échelon national, 15 jours pour se renseigner sur le poste et se décider, c’est bien court !) ? Pourquoi annoncer à des candidats intéressés par un poste qu’ils ne doivent pas se proposer ? Il ressort des dernières sessions de commissions paritaires une réelle impression, parfois, de postes réservés bien à l’avance pour certains collègues, parfois « exfiltrés », dans certains cas, avertis très à l’avance de telle ou telle occasion préparée pour eux.
Nous demandons à l’État et notamment au Service interministériel des Archives de France d’assumer pleinement son rôle vis-à-vis de ses agents, où qu’ils se trouvent, et de veiller à ce que leurs droits élémentaires soient respectés et cela dès l’ouverture des postes à pourvoir.
CFDT-Culture, section Archives
23 mai 2014