Archives nationales : revoir Paris !

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Le rapport Magnien-Notari à deux ans et ses manques

 Ce mois d’avril 2015 vient de voir l’installation des centres de recherche du Département du Moyen Âge et de l’Ancien Régime des Archives nationales (Onomastique, Sigillographie et Topographie parisienne) dans l’ancienne salle des inventaires du Caran. En parallèle, les importants travaux de restauration de l’hôtel de Rohan se préparent tandis que la rénovation des bureaux de l’hôtel d’Assy, prévue pour l’installation du Département du minutier central, a commencé.

Ces opérations étaient préconisées par le rapport Magnien-Notari présenté à l’été 2013, commandé par le ministère de la Culture à la direction des Archives nationales d’alors, et censé définir les besoins en espaces et travaux pour le fonctionnement des Archives nationales sur leur site historique dans le Marais pour les trente années à venir. Tout se passe donc comme si ce rapport était encore la feuille de route à appliquer pour le site parisien.

Or, si un certain nombre des projets retenus sont tout-à-fait opportuns, ce rapport n’est pas exempt d’options de fond contestables, ni d’oublis. Un certain nombre d’entre eux avaient d’ailleurs été pointés par les services implantés sur le site au moment de la restitution du rapport par ses auteurs en juillet 2013, tandis que la CFDT avait souligné ses insuffisances, et la CGT fait une contre-proposition d’ensemble.

Par ailleurs, deux ans d’exercice des missions des AN sur le site dans sa nouvelle configuration sont aussi riches d’expériences. Il paraît urgent d’en tirer des enseignements d’autant que, comme toujours dans le cadre de l’équilibre tripartite du SCN, l’économie de fonctionnement sur les 3 sites est concernée.

La question des espaces à conserver dans le périmètre de gestion des Archives nationales est cruciale. Rappelons que le rapport Magnien-Notari prévoyait l’abandon d’un grand nombre de bâtiments : « parce que nous n’en avons plus l’utilité », avait coutume d’affirmer la directrice de l’époque. Il s’agit du bâtiment des stages, de l’hôtel de Boisgelin, des dépôts Temple, Quatre-Fils, Guerre et Affaires étrangères, en bref de tout le pan oriental du Quadrilatère. Ledit rapport répartissait les locaux conservés entre les différents services présents sur le site (DMAAR, DMC, DAPA, CP, Bibliothèque, ateliers et Musée/DACE) sur la base d’estimations d’accroissement (DMC), de redéploiement (DMAAR) et d’extension (Musée).

Ce postulat d’une réduction des espaces dévolus aux Archives nationales sur leur propre site historique intervenait au moment même où la construction d’un nouveau bâtiment aurait précisément dû déboucher sur un accroissement notable des capacités de stockage et une amélioration significative des conditions d’exercice des missions des services parisiens, et alors même que le projet de « refondation » des AN ne le prévoyait pas. Cela explique qu’il ait engendré un certain malaise et ait été vécu comme une forme d’abandon du site parisien qui perdait par ailleurs son existence postale tandis que, période d’ouverture oblige – et c’est bien normal –, tous les efforts et l’attention étaient concentrés sur le nouveau site de Pierrefitte. Les menaces n’étaient pas – et ne sont toujours pas – fantasmées : ainsi l’éditorial de Connaissance des Arts titrait, en mars 2013, « 13.000 m² à saisir dans le Marais ».

Définir les vrais besoins de redéploiement et de développement des activités

Au-delà des principes, certains oublis et lacunes du rapport ont été signalés à l’administration des archives dès la phase de restitution, tandis que d’autres sont apparus depuis 2013.

Conservation

Le premier manque, primordial, a trait à la jauge trop faible des bâtiments retenus, et concerne les capacités de stockage des documents. En effet :

  • les entrées du Minutier ne sont pas conçues dans une extension la plus large possible sur le site alors même que les bâtiments Chamson et Rohan-Sud ont déjà été entièrement remplis depuis la reprise de la collecte en janvier 2013, dans un contexte de retard qui engendre l’arrivée de gros volumes ;
  • la place des Cartes et plans n’a pas été vraiment prévue ;
  • le redéploiement des collections de la Bibliothèque n’a pas ou peu été pris en compte, probablement du fait de son rattachement à la DIRP, direction non consultée pour l’estimation des espaces de conservation ;
  • le projet d’extension du Musée, qui entraîne une forme de muséification des dépôts aux dépens de leur fonction première de conservation, entraîne à terme pour les archives du DMAAR (série S en particulier) une perte de l’ordre de 500 mètres linéaires, même s’il est encore temps, on l’espère, de penser à une cohabitation visites/communications par le biais d’aménagements spécifiques (installation de grilles, accès limité à certaines plages horaires…).

Ce manque vire à la pénurie quand on le met en relation avec la condamnation de tous les lieux de conservation en sous-sols, laquelle a été renforcée par les contaminations d’ampleur connues en 2014. De façon mécanique, renoncer aux sous-sols implique de conserver plus de bâtiments en surface.

Publics

L’accueil des publics, dans sa dimension éducative et culturelle, est également bridé par les propositions Magnien-Notari.

L’année qui vient de s’écouler est à cet égard significative car elle vient de montrer à la fois la capacité de Soubise à accueillir, avec l’exposition Collaboration, des manifestations au succès retentissant (60.000 visiteurs et une couverture presse inégalée) et la nécessité de disposer sur le site de Paris d’une salle de grande capacité pour les programmations scientifiques qui accompagnent ce type de manifestations. En effet, l’espace utilisé pour les conférences (salons du Prince) a révélé ses limites en termes de places, mais aussi du point de vue de sa fonctionnalité et dans la coordination de son utilisation par divers acteurs (AN, prestataires privés de visites guidées, association « Jeunes talents »).

D’autres manifestations publiques sont empêchées ou se sont déplacées pour les mêmes raisons : citons l’exemple des conférences de la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France, qui ont quitté le Marais pour les nouveaux locaux de l’École des Chartes. Bien entendu, l’auditorium du site de Pierrefitte est un équipement remarquable et indispensable ; pour autant, il paraîtrait légitime et profitable à l’institution que le site de Paris, qui accueille les grandes expositions et bénéficie d’une position géographique particulièrement porteuse pour la venue du grand public, soit doté d’un espace de ce type.

De façon plus légère en termes immobiliers, le service éducatif, très sollicité sur les deux sites, manque de salles d’accueil, et en particulier d’une salle équipée pour un usage pédagogique des nouvelles technologies alors même que les espaces du petit CARAN laissés vacants par le départ de la Topographie parisienne et de l’Onomastique présentent toutes les caractéristiques requises (raccordement aux réseaux, proximité avec les autres lieux d’accueil des lecteurs, accessibilité pour le public handicapé). L’accueil du public professionnel n’est pas en reste : faute d’espaces ad hoc suffisants, il est aujourd’hui bien compliqué d’organiser des formations sur le site. Celles de la DGPat se déroulent désormais fréquemment dans les locaux de la société Formeret, privant le Quadrilatère de la fréquentation des collègues du réseau Archives.

Last but not least, la Direction refuse avec constance de s’engager sur l’affectation de l’hôtel de Rohan aux Archives nationales, renvoyant à « la fin des travaux » – 2018, 2019, soit à une date où les arbitrages stratégiques auront déjà été pris. Les collègues du DACE, aujourd’hui entassés dans un entresol derrière des paravents, seraient pourtant bien mieux installés au dernier étage d’un Hôtel qu’ils sont mieux que quiconque, puisqu’ils le font depuis des décennies, à même de valoriser. 

 Fonctions-supports

Les fonctions support ou activités techniques (conservation, ateliers de restauration, photographie) ont enfin fait les frais de la réorganisation parisienne du site.

Alors qu’elles sont indispensables en proximité pour les responsables de fonds, elles paraissent d’abord extrêmement fragiles étant donné le petit effectif du personnel : 3 agents à l’atelier, 1 seul photographe, pas d’équipe d’exécution pour les grosses opérations de conservation/reconditionnement. Leur avenir semble de plus obéré par la question des locaux : leur lieu d’occupation actuel – pourtant entièrement rénové en 2009 – serait, si l’on s’en tient à la programmation du rapport Magnien-Notari, dévolu aux nouveaux espaces du Musée tandis que les ateliers rejoindraient le petit CARAN. On voit mal comment les équipements (bains, séchoirs, cisailles, presses, produits chimiques…) et le travail d’atelier peuvent s’insérer dans des salles conçues pour accueillir du public et non pas des activités techniques, faisant par ailleurs du CARAN un espace fourre-tout : salle de lecture, lieu de conservation des cartes et plans, ateliers.

Ce type de besoin s’étend au-delà des ateliers proprement dits : aucune salle de dépoussiérage n’est prévue par le rapport Magnien-Notari pour permettre les travaux de reconditionnement et de redéploiement de grande ampleur, comme le prouve le chantier de mise à niveau matérielle des séries Z entrepris au DMAAR l’an passé ; en créer une à périmètre constant conduirait à une nouvelle perte de linéaire, ou bien à priver un service d’un espace dont il a actuellement l’usage.

Des besoins en salle de tri partagées ont également émergé pour les mêmes raisons mais aussi pour assurer le classement de fonds avant transfert vers un autre espace de stockage : le fonds de l’association Act-Up a ainsi été classé d’abord au rez-de-chaussée de l’hôtel de Rohan puis au premier étage de Boisgelin par une équipe du DECAS ; le bureau des Missions du SIAF a lui aussi perdu des locaux de transit à Rohan, lesquels permettaient une souplesse de traitement pour des fonds entrants. L’existence de tels locaux mutualisés sur le site permet, il faut le souligner, les échanges entre personnels des différents sites ou institutions partenaires (SIAF/AN), ce qui n’est pas la moindre de ses qualités, la vie inter-sites ayant été largement omise par les autorités de l’époque.

La refondation pour tous

Être amené à dresser un tel bilan est d’autant plus paradoxal que le projet de refondation devait a priori permettre au site de Paris de se développer : il est difficile pour les services de s’entendre dire, à deux ans d’un déménagement qui a libéré des dizaines de kml. et des milliers de m², qu’il n’y a pas de place pour les magasins de la Bibliothèque ou les bureaux des agents du DACE.

Le Quadrilatère ne saurait être pensé uniquement comme une vitrine ; il a besoin, pour exister en tant que centre d’archives, de proposer des espaces de stockage et de travail à l’ensemble des services présents sur le site, voire au-delà. De par sa position médiane entre Pierrefitte et Fontainebleau, il peut par ailleurs jouer un rôle de pivot (réunions, bureaux de passage, fonctions transverses). Les incertitudes qui pèsent aujourd’hui sur les espaces de conservation à Fontainebleau alertent aussi sur la nécessité de se ménager une marge de manœuvre à Paris.

Enfin, il faut que les Archives nationales assument un rôle actif dans la dévolution des bâtiments qu’elles seraient, après redéfinition, susceptibles d’abandonner au profit d’autres institutions afin de permettre une synergie avec elles, et non une concurrence ou une juxtaposition sans légitimité.

Le rapport Magnien-Notari doit être revu : c’est une nécessité comptable (mètres carrés de bureaux, de dépôts, de salles de travail et d’accueil du public) ; c’est un impératif pour l’institution si les Archives nationales veulent parvenir à articuler au mieux les sites et cumuler les effets de leurs avantages respectifs.

CFDT-Culture, section Archives
16 avril 2015

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