A l’heure où la création artistique est en pleine mutation où la liberté d’expression ainsi que les choix artistiques des créateurs sont de plus en plus remis en cause, la reconnaissance législative via le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) est essentielle .
Ce projet de loi, très attendu, devrait répondre à l’exigence de prise en compte de la création artistique comme liberté fondamentale reconnue par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui fait explicitement référence au fait que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvre d’art contribuent à l’échange d’idées ou d’opinions indispensables à une société démocratique »[1].
Il serait ainsi souhaitable de parler de « la liberté d’expression artistique et de création » comme le propose la rapporteuse spéciale des droits culturels à l’ONU : « la liberté d’expression, constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun ».
Malheureusement ce n’est visiblement pas le chemin que prend le Ministère de la Culture en choisissant d’écrire dans l’article 1 du projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine : « La création artistique est libre ». Certains esprits chagrins affirment que cette phrase ne veut rien dire, et nous pensons qu’ils ont raison !!
Si le but de la formulation choisie « La création artistique est libre » est de réaffirmer comme valeur fondamentale de notre démocratie, le droit à la liberté d’expression artistique et de création, il s’avère que c’est loupé ! Affirmer que « la création artistique est libre » c’est avant tout choisir de porter la création artistique au rang d’objet, objet de consommation ou objet marchand.
La liberté est une valeur attachée à l’humain (cf la déclaration des droits de l’homme) et cette confusion voire ce contresens et plus grave encore ce choix volontaire du Ministère de la culture et de la communication relève d’une affirmation politique visant à considérer la création artistique comme valeur marchande seule.
Comme nous l’avons plusieurs fois écrit, cela marque un réel manque d’ambition et surtout laisse la porte ouverte à des dérives de politiques culturelles, réelles ou supposées. Si c’est la seule réponse que le ministère est capable de donner aux questionnements sur les enjeux de la création aujourd’hui, alors elle est bien décevante voire consternante. Cette approche extrêmement réductrice nous interroge sur le fond de ce que défend aujourd’hui notre ministère. Sommes-nous devenus aujourd’hui un ministère de produits culturels au détriment d’un ministère qui défend les biens culturels communs ?
Le deuxième article du projet de loi rivalise avec le premier : il présente uniquement un catalogue de 10 actions espérant balayer l’ensemble des actions artistiques et culturelles qui font la création. Cet article n’est pas normatif et ne pose aucun principe de précaution. De plus, les politiques ne sont pas seulement conduites par l’État et les collectivités. Les grands oubliés, la nation représentée par le peuple et tous les acteurs éloignés des institutions.
Cet article est somme toute assez dangereux car il permet de conforter certains élus dans leur pouvoir de nuisance et d’ingérence sur le choix des programmations des lieux et des équipes artistiques accueillies. On voit même certaines collectivités confondre la mise en œuvre de politiques culturelles et la programmation.
Aucun garde-fou n’a été pensé, aucune précaution n’a été prise pour protéger le programmateur ou le curateur.
Nous glissons donc lentement mais sûrement d’une liberté de création vers la main mise d’un exécutif local sans aucun organisme de contrôle ni de régulation !!! Il n’y a rien de pire que de faire croire à la liberté quand on n’en dispose pas ! Comment pourrons-nous alors protéger les lieux exposés aux fermetures préfectorales au regard cet article ? Cet article est contre-productif et vise à réduire le champ d’actions des artistes, et n’invite absolument pas à penser les politiques culturelles au-delà des institutions.
Espérons donc que les parlementaires se saisiront de ce projet de texte de loi indigne, que certains n’hésitent pas à qualifier de « torchon » et qui est surtout une négation des valeurs républicaines que la France défend.
La liberté n’est pas une notion à galvauder surtout en ces temps difficiles, il est franchement honteux de se gargariser de cette valeur fondatrice de notre république pour justifier de l’inanité de ce projet de loi.
La CFDT-CULTURE
Paris le, 7 juillet 2015