Nota : Pour faciliter la compréhension, on utilisera la dénomination « Archives nationales » pour l’ensemble constitué des trois SCN actuels, et les sigles AN (Archives nationales), ANOM (Archives nationales d’Outre-mer) et ANMT (Archives nationales du monde du travail) pour chacun des services pris séparément.
Le 2 février dernier, la Cour des comptes a rendu public un rapport intitulé « Les Archives nationales : les voies et les moyens d’une nouvelle ambition ». Ce rapport répondait à une commande de la commission des finances du Sénat en date de décembre 2015 ; il a fait l’objet d’une première série d’observations de la part des deux sénateurs désignés pour en assurer le suivi, MM. Vincent Eblé et André Gattolin.
Rappelons avant toute chose que la commande du Sénat comportait deux points relatifs aux Archives nationales proprement dites :
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bilan de la réforme mise en œuvre à compter du 1er janvier 2007, qui a vu la création des trois services à compétence nationale « Archives nationales » (AN), « Archives nationales d’outre-mer » (ANOM) et « Archives nationales du monde du travail » (ANMT) ;
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examen de la manière selon laquelle les trois SCN exercent leurs missions, de leur gestion et de leur situation en termes d’infrastructures immobilières
mais également deux autres points relatifs à la politique publique des archives en général :
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rappel des principales évolutions intervenues en matière de politique publique des archives depuis la loi du 3 janvier 1979 ;
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un examen de certains aspects transversaux à toutes les archives de l’État (législation, pilotage interministériel, cadre commun de modernisation et projets informatiques mutualisés notamment)
Contrairement à ce que laisse croire son titre, le rapport ne concerne donc pas les seules Archives nationales mais bien plutôt la politique publique des archives au niveau central de l’État, définie et conduite par le Directeur général des Patrimoines, le Service interministériel des Archives de France (SIAF) et le Conseil supérieur des Archives (CSA).
>La CFDT-Culture s’est déjà exprimée sur certaines erreurs, concernant les ANOM, contenues dans ce rapport (cf. tract ANOMalies n° 6). Voyons maintenant ce qu’il faut penser des propositions de la Cour et de la logique qui les inspire.
Ainsi qu’en témoignent les titres de certaines de ses parties – « des missions exercées de manière inégale et souvent défaillante [par les trois SCN] », « des arriérés de classement même pour les fonds clos », « une collecte volumineuse d’archives peu dématérialisées », « une gestion médiocre des ressources humaines »… –, ce rapport dresse de la politique et de la gestion des archives centrales de l’État depuis 2007 un bilan sévère, dont la presse s’est fait l’écho en des termes peu flatteurs (« rapport accablant pour les Archives nationales », « grand désarroi des Archives nationales », etc.).
Pour le dire vite, les Archives nationales sont aux yeux de la Cour des comptes un ensemble d’institutions peu productives, qui génèrent des arriérés, emmagasinent et stockent des archives de peu d’intérêt, et donc qui coûtent, d’autant que le public des salles de lecture ou d’expositions est pour sa part quasi absent du rapport – quelques lignes et une page d’annexes sur les 185 que totalise le document. Les personnels des Archives nationales, dont le régime horaire est au passage dénoncé comme trop favorable, apprécieront de voir reconnus à leur juste valeur leurs efforts, en particulier ceux des AN qui depuis 10 ans ont eu à préparer un déménagement de 200 kml. d’archives, à faire l’apprentissage de nouveaux modes de fonctionnement et d’outils informatiques en perpétuelle « évolution », le tout dans un environnement et des conditions d’accessibilité dégradées pour ceux qui travaillent à Pierrefitte. Le rapport de la Cour des comptes offre en réalité une vision partielle et partiale de l’activité des Archives nationales et des archives en général : quasi absence du public, non prise en compte des réalisations scientifiques sur les fonds conservés (produites par le personnel de l’institution comme par les chercheurs), mauvais procès en arriérés non classés (la notion d’arriéré est consubstantielle à la collecte d’archives).
Les préconisations de la Cour des comptes relatives aux trois SCN Archives nationales découlent naturellement de cette appréciation biaisée et tronquée.
Plusieurs d’entre elles sont purement et simplement irrecevables, à commencer par la demande de « transfert » des fonds du site de Paris sur celui de Pierrefitte, et du Minutier central des notaires aux Archives de Paris. Les sénateurs Éblé et Gattolin se sont heureusement opposés à cette invraisemblable perspective au nom de la dimension historique et patrimoniale de ce site, de son caractère central et accessible pour les chercheurs et le grand public, et de l’importance des investissements qui y ont déjà été réalisés ; cette demande, qui fait bon marché de la dimension nationale des minutes des notaires parisiens sous l’Ancien Régime, est par ailleurs parfaitement contradictoire avec le souhait de ne pas engorger trop rapidement le site de Pierrefitte.
La préconisation relative à la transformation des trois SCN en un établissement public unique n’emporte pas non plus l’adhésion : on peut en effet douter que cet outil technocratique serait de nature à améliorer les capacités de recrutement et de « fidélisation » des nouveaux agents des AN et des ANMT. En revanche, on peut parier sans grand risque que ce changement se traduirait par des injonctions de plus en plus fortes à dégager des ressources propres. Or, force est de constater que les opérations de location d’espace – abusivement requalifiées a posteriori de « mécénat » – qui se multiplient ces derniers temps aux AN, source de nombreuses complications pour les services impactés (démontage et remontage de structures d’exposition, délocalisation in extremis d’activités programmées de longue date, etc.), ne sont guère conciliables avec les contraintes liées au fonctionnement normal des AN. Aux ANMT, plutôt que d’escompter de minimes recettes par la location de l’auditorium, ne serait-il pas plus sage de poursuivre et approfondir la stratégie déployée ces dernières années : accueillir gratuitement des manifestations scientifiques, culturelles et socio-culturelles avec des partenaires locaux afin de donner une meilleure image du service et renforcer ses liens sur le territoire ? S’agissant des ANOM, la Cour elle-même reconnaît que le site d’Aix « offre un potentiel limité en raison de l’exiguïté des lieux et de la concurrence de nombreux sites prestigieux dans la ville. »
En fait, la Cour cède ici à la recherche de la rentabilité à court terme, véritable mantra de notre monde où tout doit être « rentable », c’est-à-dire produire – et produire vite – des recettes. Rappelons ici que les services publics d’archives, comme les autres services publics, n’ont pas à être « rentables », mais à être bien gérés et à produire du bien social qu’on ne peut mesurer exclusivement en unités monétaires. Les dépenses des services publics d’archives garantissent, entre autres, l’exercice continu de l’administration au service de tous les citoyens. Elles sont aussi des investissements dans la connaissance et l’éducation. Comme le disait Abraham Lincoln « si vous pensez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance » !
Quant à l’idée de fusionner les trois SCN, si la CFDT-Culture a pu, en un temps, préconiser l’existence d’un service unique sur plusieurs sites, l’expérience montre hélas que les AN ont déjà eu du mal à fonctionner et à s’imposer comme une institution cohérente sur trois sites. Il est également à craindre, comme ce fut le cas avant la réforme de 2007, que les sites périphériques méridionaux et septentrionaux pâtissent de leur situation géographique excentrée par rapport à un « cœur » francilien.
S’attaquant enfin aux questions de ressources humaines (agents « non portants », durée du travail, règlement intérieur rémunération, bons d’habillement…), la Cour livre des analyses qui peuvent sembler fondées « en droit » mais qui contredisent son propre constat sur le manque d’attractivité des AN auprès des personnels de la Culture. Elle oublie aussi certaines données : le temps de travail à plus de 46 heures des encadrants, le temps de transport considérable subi par nombre d’agents des AN pour des rémunérations bien trop modestes et inférieures à celles perçues ailleurs pour des postes équivalents, etc. Elle n’apporte, en outre, pas de solutions…
En conclusion, si l’on relève, rare point positif, que la Cour demande l’équipement du différé et la construction de l’extension prévue à Pierrefitte (ce qui n’est que logique, eu égard à la décision de fermeture de Fontainebleau), force est toutefois de constater que, conformément à la doxa néolibérale selon laquelle le service public, par nature, coûte forcément trop cher, le rapport de la Cour des comptes dénote en vérité la bien pauvre vision qu’ont les magistrats de la Cour des comptes des institutions scientifiques et culturelles « Archives nationales » : une institution qui ne devrait conserver au centre de Paris qu’une vitrine, vide de tout fonds (et lecteurs) – les bâtiments vides étant promis au tourisme ou à la spéculation ? ; une institution qui devrait fonctionner comme une entreprise sommée de dégager des ressources propres au mépris de l’accomplissement des missions qui lui incombent réglementairement.
Cette vision des Archives nationales, la CFDT-Culture la récuse.
>Elle demande, au contraire, un fort investissement du ministère pour garantir aux trois SCN Archives nationales les moyens matériels et humains de leur fonctionnement – beaucoup reste à faire sur ce dernier point aux ANMT, ce que la CFDT-Culture ne cesse de rappeler (cf. nos tracts « Enfin un espoir ? » en février 2012 et « Un SCN oublié du ministère de la Culture » en avril 2015). Outre l’aménagement du différé et la construction de l’extension de Pierrefitte, rendus obligatoires par la décision de fermeture de Fontainebleau, elle demande également au ministère, pour ce qui concerne les AN, de réaffirmer la dimension archivistique du site de Paris, dont l’exercice des missions sur les 30 prochaines années est compromis par la perspective de la cession d’une partie du site à un opérateur extérieur au ministère. Cette réaffirmation ne saurait se limiter à un réaménagement immobilier : elle doit également passer par la mise en œuvre d’un projet scientifique ambitieux et lisible (plus que les 234 actions du PSCE) autour des fonds conservés sur ce site.
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Tout n’étant pas à rejeter dans le rapport de la Cour, notre prochain tract sera consacré aux critiques légitimement formulées par celle-ci au sujet de l’insuffisante définition des périmètres d’action des trois SCN Archives nationales et du déficit de cadrage et de pilotage des tutelles.
CFDT-Culture, section Archives
mardi 28 février 2017
Télécharger le communiqué : CFDT-CULTURE : la Cour des comptes aux Archives nationales : une vision partielle et partiale, des préconisations irrecevables. 28 février 2017