Aujourd’hui 6 juillet, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen présidait le premier Comité technique ministériel depuis son arrivée au ministère de la Culture. Elle était accompagnée du directeur de cabinet, Marc Schwartz, et de la directrice-adjointe de cabinet, Laurence Tison-Vuillaume. Le nouveau secrétaire général du ministère, Hervé Barbaret était également présent.
La ministre a présenté les deux piliers de sa feuille de route et les différents axes de travail qu’elle souhaite voir développer au ministère au cours de prochains mois.
La CFDT-CULTURE a quant à elle fait un état des lieux du ministère et de ses établissements à partir d’exemples concrets. Vous trouverez ci-dessous cette déclaration.
Madame la Ministre,
vous présidez aujourd’hui votre premier comité technique et nous vous en remercions, car nous en avions perdu l’habitude. Merci également aux membres de votre cabinet d’être également présents.
Le ministère que vous découvrez depuis presque deux mois est un ministère en pleine révolution.
Vous avez abordé nombre de points que nous souhaitons également évoquer mais sans doute avec un angle différent.
Nous ne referons pas aujourd’hui la déclaration que nous avions faite le 10 juillet 2012, encore que la situation est somme toute assez identique. Non pas que rien n’ait changé. Nous avons dressé un bilan le 31 mars 2017 lors du CTM. Nous rappelions alors qu’au-delà des simples promesses de campagne -on sait ce qu’elles valent-, nous imaginions malgré tout un ministère fort, impliqué, moteur d’un projet de société et pour le ministère lui-même, la fin de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) qui a surtout consisté à faire disparaître des agents.
Nous terminions notre bilan par la mise en évidence de l’absence à la fois de volonté politique et d’ambitions pour notre ministère durant ce quinquennat et ce malgré le portage de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP), qui à notre sens, à force d’être triturée, a manqué son but, à savoir être le socle des politiques publiques culturelles futures.
Depuis le 7 mai et le 18 juin s’ouvre donc un nouveau quinquennat. Nouvelles promesses, nouveaux enjeux, nouveau budget, nouvelles coupes sombres à l’horizon ce qui risque de freiner les ambitions de revalorisation que vous nous avez présentées.
Petit rappel liminaire, si la CFDT a appelé à battre la candidate du Front national lors des élections présidentielles, elle n’a pas pour autant donné un blanc seing au candidat devenu président.
Le candidat Macron avait annoncé la nécessité de supprimer entre 120000 et 160000 postes de fonctionnaires. Après le discours de politique générale du premier ministre mardi, il semble que nous nous orientons donc vers une nouvelle RGPP, avec un projet qui évoque la nécessité pour la fonction publique de se« moderniser », de se « réformer », d’« entrer dans le numérique », de « créer un état plate-forme » pour que le citoyen connecté puisse enfin avoir accès à une administration 3.0, tout cela sans le moindre crédit supplémentaire… Mais il paraît que puisque ça marche en Estonie, ça devrait marcher chez nous….
Donc après le modèle allemand, le modèle anglo-saxon, nous voilà avec le modèle estonien.
Avec ça ou allons-nous pour notre ministère ? Pour faire écho à la feuille de route que vous nous avez déroulée avec les piliers et axes que vous avez définis, nous prendrons quelques exemples concrets pour illustrer la situation actuelle et très factuelle du ministère.
Commençons par le sujet de l’ère numérique et de la nécessité de connecter le citoyen et d’entrer dans la fonction publique 3.0… Pour le ministère, nous allons essayer déjà d’entrer juste dans le 1.0 et ce sera déjà un grand pas. Comme vous l’avez indiqué, en décembre 2016, était présenté devant cette instance l’arrêté relatif au télétravail, avec un projet de note et des fiches pratiques pour permettre aux agents de télétravailler pour ceux qui le souhaitent. Le télétravail fait même l’objet d’un article dans le dernier numéro Cultures… On se croirait à la pointe du progrès, avec une réflexion sur une nouvelle organisation du travail, une approche éco-durable des déplacements, une réflexion sur l’autonomie dans le travail. Nous n’affirmerons pas comme vous que c’est une grande avancée car, le télétravail au ministère cela reste seulement un arrêté et une note mais rien de plus : on se heurte au veto informatique, sous couvert des coûts que cela engendrerait… les aspects techniques semblent malgré tout être également un léger souci puisque les agents sont dans l’incapacité d’avoir accès au réseau Culture hors d’un site déclaré, et nous l’avons bien compris lors de la discussion sur les moyens informatiques, hors réseau culture.gouv, nous ne sommes plus en sécurité !
Hélas, ce comportement réfractaire déteint sur les établissements publics (EP) ou les services à compétence nationale (SCN), où là aussi la mise en œuvre du télétravail est au point mort… Pour un MC 3.0 on verra un peu plus tard.
Pour ce qui est de se réformer, le ministère de la culture, depuis 2015 a largement donné avec la réforme territoriale et la mise en œuvre de la LCAP.
Les réformes sont là et bien là, avec tout le bazar, difficile de trouver un autre mot, qui a suivi.
La réforme territoriale, vous le savez, a engendré de grands bouleversements dans les DRAC, bouleversements organisationnels évidemment prévisibles vu la vitesse de mise en œuvre. Si le ministère n’est pas responsable de la réforme elle-même, il est en revanche responsable de la façon dont cela s’est fait au ministère et dans les régions.
Entre la valse des organigrammes avant fusion, dont les versions définitives n’ont même pas été soumises au CTM, puis les mouvements perpétuels de ces mêmes organigrammes depuis la fusion, les agents et les usagers ont un peu de mal à s’y retrouver.
Sur ce sujet on ne peut pas dire que les agents ne se sont pas mobilisés et investis. Car si aujourd’hui les DRAC fonctionnent ou tentent de fonctionner, c’est bien grâce aux agents, à leur implication et leur volonté de trouver des solutions quand l’administration centrale, le SRH et le DAT restent sourds et muets face aux dysfonctionnements constatés.
Avec cette réforme, là où on aurait pu en profiter pour imaginer une forme de « révolution managériale », nous nous retrouvons bien davantage, deux ans plus tard, sur un constat d’épuisement des équipes, des départs multiples, liés aux disparitions/fusions de certains postes, mais aussi parce que l’avenir semble bouché pour des agents qui ne s’y retrouvent plus dans l’exercice de leurs missions dont le sens semble perdu, ou en train de se perdre. Toujours plus de temps consacré aux réunions, de CODIR, élargi ou rétréci, à faire du « reporting » sans que l’on sache exactement ce qu’il en advient une fois transmis, toujours plus de temps dans les trajets, tout cela en définitive laisse assez peu de temps pour l’exercice même des métiers.
Car c’est une particularité de notre ministère, non seulement nous avons une part d’administration, inévitablement, mais nous avons aussi et surtout tout un ensemble de métiers avec des compétences particulières. Petite parenthèse, il serait bon d’ailleurs que la DAT travaille un peu moins en silo et s’appuie ou dialogue un peu plus avec les directions générales concernées quand c’est nécessaire. Aujourd’hui les DRAC sont fragilisées alors que les régions fusionnées prennent la main sur la conduite des politiques culturelles.
Dans le cadre de cette réforme territoriale, l’absence d’accompagnement, malgré les visites nombreuses du précédent secrétaire général, l’absence de formations, la multiplication des réunions et des déplacements font perdre toute perspective à des agents qui ne se sentent pas écoutés. Depuis plus d’un an, nous avons alerté le SRH et le SG sur les problèmes d’interprétation que pose la circulaire de 2013 sur les déplacements. Mais comme c’est devenu la règle depuis plusieurs années dans ce ministère, nos courriers sont restés sans réponse…
Pour faire le lien avec ce que nous venons de dire sur le télétravail, les DRAC auraient pu, auraient du être un terrain de réflexion et de concertation, d’expérimentation et d’innovation, à la fois sur l’encadrement à distance, sur les accès aux outils de travail à distance, sur l’organisation même du travail et du temps de travail. Dire que nous en sommes loin est plus qu’un euphémisme !
Au-delà de ces aspects organisationnels, le non respect par l’administration des attributions de primes liées à cette réforme est la goutte qui fait déborder le vase du sentiment d’abandon car là encore que ce soit les sollicitations individuelles ou les interpellations syndicales, une fois encore, le ministère choisit de rester muet. Que ce soit le fruit d’une politique de l’autruche ou d’une volonté de décourager les agents, il n’en reste pas moins que le ministère se met hors la règle en choisissant de ne pas appliquer les textes et nous vous l’avons indiqué lors de notre entrevue, la CFDT-CULTURE n’hésitera pas à ester en justice si cette situation n’évolue pas.
Ces deux exemples de dysfonctionnement du ministère – deux choisis parmi une foultitude- ont pour point commun ce que l’on nomme au ministère de la Culture, le dialogue social.
Pour rappel, la CFDT est un syndicat réformiste ouvert au dialogue. En revanche, nous ne sommes absolument pas dans la veine de la réunionite aiguë ou dans le dialogue de sourds.
Or il semble qu’au fil du quinquennat précédent on ait fini par confondre réunions, concertation et dialogue et malheureusement, ce n’est pas qu’un problème de vocabulaire.
Avant de continuer et pour éviter l’habituelle séance de désinformation qui suivra cette instance, nous réaffirmons qu’en aucun cas la CFDT-CULTURE ne met en cause le travail des agents, en revanche nous mettons en cause les non prises de décisions de la haute administration, les incessantes réponses « c’est en cours d’arbitrage au cabinet» (exemple des assistants techniques de l’Ensad) ou ultime trouvaille « c’est au guichet unique » (dès qu’on parle RIFSEEP , il y a du GU dans l’air), sans compter les non décisions qui deviennent des décisions par défaut.
Vous avez appelé à un dialogue libre et ouvert, il y a là un chantier à ouvrir.
Cette absence de transparence sur un nombre incalculable de sujets empêche aujourd’hui tout dialogue constructif et toute avancée sur des sujets qui sont pourtant de la première importance pour ce ministère et pour les agents.
Pour aller vite :
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le dérogatoire, depuis le 31 mars, nous n’avons pas de nouvelles pour les agents en attente d’une sortie du dérogatoire et donc potentiellement éligibles au Sauvadet 3. Pas de nouvelles non plus de la liste des 4.1 (liste des métiers pour lesquels il n’existe pas de corps de fonctionnaire) sur laquelle pourtant il fallait travailler si vite.
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le RIFSEEP de la filière documentation qui devait passer avant le 1er juillet… porté disparu. Idem pour le RIFSEEP de la filière Recherche… Nous aussi nous avons demandé un travail conjoint avec le ministère de la Recherche, nul doute que votre parole sera plus efficace que la nôtre. Enfin, devons-nous évoquer le RIFSEEP des conservateurs qui devait à tout prix passer avant le réveillon ? Ou encore l’absence d’information vers les agents pour leur indiquer le catégorisation et le droit au recours qui va avec ?
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La protection sociale complémentaire, qui devait être à l’ordre du jour de ce comité technique ? Aucune nouvelle depuis presque six mois ! À tel point que de point pour avis, c’en est devenu aujourd’hui une « question diverse »…
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La mise en œuvre du retour à la règle, lié à un protocole signé en juillet 2015 par les organisations syndicales et la ministre Pellerin ? Oubliée, niée, non appliquée.
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La création de la délégation photo à la DGCA c’est là aussi faite à marche forcée avec un passage en instance le 21 avril (on avait signalé le calendrier électoral) et la sortie de l’arrêté ce week end : or deux agents ont été littéralement laminées, leur travail décrié voire nié. Nous n’évoquerons pas la politique de la photo qui a déjà fait l’objet d’un tract ;
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Camus 2019… l’Arlésienne du ministère. Sur ce sujet, des réunions, il y en a eu… mais des réponses à nos demandes et à nos interrogations et à celles des agents, évidemment non. Elles sont pourtant toujours les mêmes depuis presque deux ans : combien d’agents sont actuellement présents sur les différents sites, combien sont actuellement présents sur le quadrilatère en comptant tous les occupants tiers, quelle est la densification envisagée sur Valois et Bons-Enfants, etc. Sur Camus, on nous balade avec des powerpoint, certes très jolis, et on est même capable en réunion -dite de concertation- de nous annoncer que ce projet est avant tout un projet humain et non un projet technique et que les agents (panel consulté de 0,8%) sont heureux et confiants… Nous ne sommes pas amnésiques et nous nous souvenons très bien pourquoi ce projet existe !
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La GPEEC, c’est notre dahu, on en parle mais on ne l’a jamais vue. Alors certes, une commission vient d’être créée. Donc pour une fois, nous ne nous étendrons pas sur ce sujet, nous attendons de voir comment le ministère va organiser son renouvellement, en prenant en compte l’ensemble de ses métiers, en administration centrale, dans ses DRAC et dans ses EP. Nous attendons de voir aussi comment cela va s’articuler avec la mise en œuvre du protocole égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et la lutte contre les discriminations.
À cette liste vient s’ajouter les dysfonctionnements dans les EP ou les SCN, dysfonctionnements qui relèvent tout aussi bien de difficultés de dialogue social que de la gouvernance.
Très clairement, certains EP -toujours les mêmes- sont dans le rouge.
Les dirigeants sont censés avoir suivi un parcours managérial, il apparaît que soit certains ne l’ont pas suivi, soit leur écoute a été tout ou partiellement distraite.
L’usage de plus en plus fréquent de la Commission consultative paritaire en formation disciplinaire, le détournement de la notion d’inaptitude deviennent des modes de gestion RH avec des conséquences pour les agents qui peuvent être désastreuses. Dans certains établissements, l’agent est vu uniquement comme un outil de production et non comme une ressource humaine.
Enfin, l’intimidation des représentants syndicaux semble être un sujet à la mode et il serait bon de rappeler que l’exercice du droit syndical est justement un droit et que l’entraver est un délit.
Quant à ceux qui demandent une complète délégation des actes de gestion de leurs fonctionnaires, au vu de la situation actuelle des RH, il est urgent d’attendre.
À ce tableau de l’état du ministère viennent évidemment s’ajouter les annonces du premier ministre mardi. On l’a bien compris, le nouveau gouvernement souhaite que la fonction publique de la « start up nation » se serre -encore- la ceinture et fasse -encore – disparaître des emplois.
Pour faire bonne mesure, le gel du point d’indice est évidemment de nouveau à l’ordre du jour.
Comment, avec un horizon aussi noir, allons-nous pouvoir revaloriser les rémunérations d’agents qui sont parmi les plus mal payés de la fonction publique alors que vous en faites une de vos priorités ?
Comment allons-nous continuer de remplir nos missions et exercer nos métiers avec toujours moins d’agents ?
Comment allons-nous assurer un service public de qualité, et pour être clairs, la délégation de service public (DSP), nous en avons eu une expérience coûteuse au Mont-Saint-Michel, ce n’est pas une solution. Sauf à vouloir enrichir certaines sociétés au détriment des publics et des agents.
Comment éviter la frustration des agents avec des annonces de budgets et de moyens humains qui vont encore être rognés ?
Nous l’avons bien entendu dans votre discours en Arles lundi et vous l’avez redit ce matin, vous souhaitez donner toute leur place aux territoires pour mener leur politique culturelle. Nous vous rappelons que la loi NOTRe consacre la co-construction et même si -hélas- elle permet la délégation de certaines missions, cela ne doit pas être la règle.
De plus, le financement de la culture par les collectivités est de manière assez fréquente une des premières variables d’ajustement de leur budget. Comment pérenniser des politiques culturelles sur du long terme dans ce cadre ?
Le ministère est le garant d’un accès à la culture pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire ! Mais pas uniquement, car il faut sortir de ce schéma descendant qu’est la démocratisation culturelle et de la seule EAC.
On peut s’interroger sur ce qu’il va advenir des droits culturels qui ont été inscrits dans la loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) de 2015 et dans la loi LCAP de 2016. Rappelons que la CFDT-CULTURE s’est battue pour défendre l’intégration des droits culturels dans ces deux lois et n’a cessé de communiquer sur ce sujet alors que les cabinets précédents y étaient hostiles.
Dans ce cadre est posée la responsabilité conjointe de l’État et des Collectivités dans la définition et la mise en œuvre de la politique culturelle, et ce « dans le respect des droits culturels énoncés par la convention de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005 ».
Au-delà du caractère normatif, les droits culturels offrent de nouvelles perspectives permettant de franchir une nouvelle étape, de créer une nouvelle dynamique des politiques publiques autour des enjeux de démocratisation et de démocratie culturelles. Le travail conjoint de l’État et des collectivités territoriales ainsi que de l’ensemble des acteurs et des personnes est impératif ! Il est nécessaire de travailler sur l’incorporation des droits culturels dans notre politique, cela permet d’être plus englobant et inclusif que la seule EAC.
Mais évidemment, encore faut-il que l’État conserve intacts ses moyens d’actions qu’ils soient humains ou budgétaires !
Comment construire un agenda social alors que l’externalisation, les pertes d’emplois et de compétences semblent être la priorité de ce gouvernement ?
Comment croire en vos ambitions et votre vision pour ce ministère tant que nous ne connaissons pas le budget qui sera alloué au ministère ainsi que la répartition des crédits. Il est aujourd’hui très difficile de se faire une idée de l’application de cette feuille de route et nous vous proposons de nous revoir lors des annonces budgétaires. Nous verrons à ce moment là quelles sont les réelles ambitions du gouvernement pour la culture.
Pour terminer, la réalité est que ce ministère ne pourra pas supporter de nouvelles coupes budgétaires, alors même que la culture doit être le socle du combat à mener contre la montée des extrémismes, de l’intolérance et des populismes. C’est l’enjeu de votre quinquennat et cela ne peut pas se concevoir avec des coupes dans nos effectifs et dans nos budgets.
La CFDT-CULTURE, le 6 juillet 2017
Télécharger la déclaration de la CFDT-CULTURE au CTM : Déclaration de la CFDT-CULTURE au comité technique ministère du ministère de la Culture du 6 juillet 2017