Patrimoine en bern(e). Beaucoup de bruit pour rien

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Nous avons souhaité, avec la ministre de la Culture, confier une mission à Stéphane Bern qui consiste précisément, d’abord à recenser précisément l’ensemble de notre patrimoine culturel qui aujourd’hui souffre, parce qu’il n’est pas en état et menace parfois de disparaître, et de pouvoir ainsi recenser les travaux de conservation, de restauration indispensables, et de réfléchir à des moyens innovants de financer ces restaurations pour les mois et les années qui viennent. »*

Cette annonce du président de la République à l’occasion des Journées européennes du patrimoine 2017 a suscité une vive polémique. Il n’y avait pourtant aucune surprise dans cette nomination : déjà, quand François Hollande était encore président, Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, nourrissait de grands desseins pour M. Stéphane Bern. Le 15 juin 2016 (et non le 1er avril), le directeur général des patrimoines annonçait à l’assemblée générale des Vieilles Maisons Françaises « la création d’un groupe de travail ayant pour objet d’encourager les changements d’usage des lieux patrimoniaux. Convaincue que le patrimoine ne peut vivre et se transmettre que s’il a un usage, Audrey Azoulay, ministre de la Culture, a décidé de confier la présidence de ce groupe de travail à Stéphane Bern, célèbre animateur de télévision et amoureux fou du patrimoine ».

Emmanuel Macron a donc trouvé son nouveau Mérimée ; de Gaulle, lui, avait Malraux. Autre temps, autres mœurs. Les animateurs-vedettes ont un avantage supérieur : ils occupent l’espace médiatique et ne coûtent pas un centime au ministère de la Culture.

En attendant, l’occupant des réserves du Mobilier national, officier dans l’ordre des Arts et des Lettres, chevalier de l’ordre de Grimaldi, officier de l’ordre de Léopold, commandeur avec couronne de l’ordre d’Adolphe de Nassau, membre de l’ordre de l’Empire britannique, officier de l’ordre de l’Honneur (Grèce), commandeur de l’ordre de Mérite du Grand-Duché du Luxembourg, chevalier de l’ordre des Palmes académiques, a déjà dévoilé les grands traits de son travail : « J’ai déjà reçu 1 200 dossiers en trois jours ! Ma première ambition est de dresser un inventaire, une liste de sites vraiment en danger. Sans doute 2 000 à 3 000 en France. Puis je voudrais réunir tous les acteurs du patrimoine autour d’une table […]. Ensuite, il faudra trouver des idées nouvelles de financement, car les dotations de l’État se tarissent… J’ai déjà quelques idées comme faire davantage appel au mécénat mais aussi aux fondations étrangères. Il y a bien sûr aussi le crowdfunding, les propositions d’acquisitions en copropriété ou encore un loto spécial patrimoine… aucune idée n’est à exclure  ». Et d’ajouter : « Si nos amis du ministère de la Culture gèrent l’absence de moyens, moi je vais essayer d’en trouver avec quelques idées fortes ».

Mince ! et dire que personne n’avait pensé à faire une telle liste avant.

Et dans six mois, après la remise du rapport du missus dominicus, nous aurons enfin des idées pour mettre en œuvre une vraie politique patrimoniale. À n’en pas douter, M. Bern va la révolutionner ! La direction générale des patrimoines, les directions régionales des affaires culturelles et les établissements publics n’auront plus qu’à suivre le mouvement !

Mais Emmanuel Macron n’a pas trouvé qu’un ambassadeur ! Il a aussi trouvé un symbole, pas n’importe lequel : un château ! Celui de Villers-Cotterets, visité durant la campagne présidentielle, auquel le néo-président a décidé de redonner un éclat à la hauteur du nom de l’ordonnance (déjà !) qui y fut signée en 1539.

Il a donc renouvelé son vœu de candidat et lors des Journées européennes du patrimoine a relancé son idée de faire de ce château le siège du « Centre de la francophonie ». Ce qui a déclenché l’enthousiasme twittique et exalté du président du CMN :

Belaval Twitter Villers-Cotterêts

Mais le président du Centre des monuments nationaux est-il bien avisé d’engager ainsi son établissement dans cette aventure ? Les travaux de restauration sont tout de même estimés à une centaine de millions. On ne savait pas le CMN si riche, lui qui a dû lever un emprunt pour financer le chantier de l’hôtel de la Marine et qui diffère les restaurations dans les monuments dont il a déjà la charge, faute de financement ?

Certes, il faut bien faire plaisir à notre jupitérien chef d’État… ! Mais tout de même, cette exaltation risque de coûter cher au CMN ! Et sauf à organiser des « patrimoinothons » animés par le fol amour du patrimoine de M. Bern, les monuments du Centre des monuments nationaux, comme tous les autres, vont devoir encore attendre leur tour pour se refaire une beauté !

La CFDT-Culture, le 28 septembre 2017

* Verbatim de la déclaration du président de la République lors des JEP 2017

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