Le 6 octobre 2016, la ministre de la Culture Audrey Azoulay commandait à Christine Nougaret, vice-présidente du Conseil supérieur des Archives, un rapport sur « Une stratégie nationale pour la collecte et l’accès aux archives publiques à l’ère numérique ». Ce rapport lui a été rendu le 24 mars 2017 ; il est consultable en ligne sur le site FranceArchives et sous ce lien.
Ce rapport d’une trentaine de pages aborde des sujets dont certains constituent des enjeux stratégiques pour l’évolution de la politique archivistique nationale : redimensionnement de la collecte papier, évolution du réseau des archives départementales dans le contexte de la réforme territoriale, aménagements souhaitables du cadre législatif, emplacement géographique des dépôts d’archives, modalités de collecte des bases de données nationales, etc. D’autres thématiques paraissent, à l’inverse, accessoires comparativement aux enjeux de la politique archivistique (réseaux sociaux, projets collaboratifs).
Les 30 propositions que compte le rapport sont, pour certaines, excessivement précises (et souvent incompatibles avec la libre administration des collectivités territoriales), tandis que d’autres restent vagues alors qu’elles sont essentielles (la participation de l’État à l’effort de collecte et de conservation de ses archives).
La réaction de la CFDT-Culture comporte deux parties : on trouvera tout d’abord une analyse globale du rapport Nougaret. Les propositions les plus importantes ou problématiques du rapport font ensuite l’objet d’une réponse ou d’un commentaire particuliers, que l’on trouvera en annexe.
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Le rapport Nougaret est un bon témoin de « l’air du temps » et des évolutions à l’œuvre dans le domaine archivistique : celle de l’entrée dans une ère massivement numérique, celle du désengagement de l’État (d’où la question du contrôle scientifique et technique en général, et de l’échelon départemental en particulier), celle de la pression immobilière et du recul des implantations de service public dans les centres-villes, celle des coûts et surtout du principe de leur réduction, qui détermine dorénavant les politiques de collecte et de conservation.
La forme du rapport, présenté comme une suite de propositions numérotées mises sur un même plan, a tendance à masquer les questions fondamentales qu’il soulève, et qui méritent d’être débattues – et parfois combattues :
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la notion d’archives dites « essentielles », importée du Canada (anglophone) et préconisée par le rapport, aboutirait à une remise en cause de plusieurs principes : celui de la définition des archives par la loi (loi de 1979, modifiée en 2008 et 2016), celui de la nature particulière de ce patrimoine – fondé non sur un acte à caractère créatif mais comme élément résultant d’un processus administratif – par rapport aux autres, celui de l’unité des archives, indépendamment de leur support et de leur typologie documentaire ; en ce sens, les archives numériques ne représentent qu’un support de plus, qui implique certes des adaptations dans les modes de collecte, d’accès et de stockage, mais pas une remise en cause des fondamentaux.
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la notion de conservation (lieux et critères) : elle pose la question des locaux mais pas uniquement, puisque pour les archives, il faut désormais penser ensemble mètres linéaires et téra-octets (donc serveurs). Le rapport semble avoir comme postulat qu’il faudrait adapter ce que l’on peut conserver aux locaux disponibles : est-ce qu’une institution dont la vocation est la conservation patrimoniale ou administrative ne devrait pas plutôt avoir comme ambition de se doter des moyens – donc des locaux physiques et informatiques – dont elle estime avoir besoin ? Le rapport préconise en outre de dissocier la conservation du sériel de celle du non-sériel, alors que c’est l’essence même des archives d’être composées des deux (ce qui n’interdit pas d’avoir une réflexion sur l’archivage intermédiaire – à qui de l’assurer, et pour combien de temps).
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la notion de contrôle scientifique et technique de l’État : elle est abordée sous trois facettes qui sont celles du maintien ou non d’un échelon départemental de gestion des archives, du rôle joué par un éventuel superviseur de la collecte et des pratiques au niveau régional, et par celui des actions du SIAF en direction des collectivités, des opérateurs et des ministères gestionnaires de leurs propres archives. Au vu de l’expérience récente de dissolution du réseau des DRAC, qui ne plaide pas pour un abandon de l’échelon départemental, l’affirmation du contrôle scientifique et technique de l’État est une bonne chose.
Pour le dire vite, s’il prône beaucoup de bonnes choses, notamment pour la partie « accès », le rapport Nougaret préconise en matière de collecte et de conservation des archives beaucoup de « moins » : moins de collecte papier (privilégier « l’essentiel » au détriment de « l’accessoire »), moins de locaux en centre-ville, moins (et même plus du tout) d’échantillonnage… Le constat vaut également pour le numérique : alors qu’en surface le rapport insiste sur la nécessité pour les services d’archives d’être associés à toutes les étapes de production et de gestion des données, les propositions ont pour conséquence de nier leur légitimité, pourtant indépendante du support de l’information, à organiser la collecte. On va jusqu’à les enfermer dans leur rôle patrimonial en préconisant de se concentrer sur l’archivage définitif (proposition n° 10) ; pourtant, c’est par leur action dans les âges courant et intermédiaire qu’ils parviennent à nouer une véritable relation avec les services versants pour une collecte de qualité.
Ayant comme intériorisé une impossibilité de demander et d’obtenir les moyens nécessaires pour faire face aux défis – complexes – de la collecte à l’ère du numérique, le rapport Nougaret est en fait marqué par une sorte de pessimisme, de perte de confiance dans l’expertise et les capacités « métier » des archivistes. Son application aboutirait à une forme de repli, de désengagement des archivistes auprès des producteurs (services et opérateurs de l’État, collectivités territoriales et autres institutions chargées d’une mission de service public), et au renoncement à l’ambition de continuer à constituer un patrimoine archivistique homogène à l’échelle nationale – sans parler de la très problématique remise en cause de la notion même d’archives.
Si certains de ses points devaient être appliqués, la CFDT-Culture demande qu’ils fassent l’objet d’une réflexion plus approfondie et d’une véritable concertation.
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CFDT-CULTURE, section Archives
Paris, le 27 septembre 2017