L’écran de fumée de la Joconde et de la Tapisserie de Bayeux
Derrière l’écran de fumée de l’émoi provoqué par les prêts, celui, potentiel, de la Joconde et, l’autre, validé, de la Tapisserie de Bayeux annoncés récemment par Françoise Nyssen, ce qui se prépare dans le triangle des Bermudes du dialogue social et dans le silence des cabinets de Valois, Bercy et l’Élysée, risque de nous mettre tous dans la même posture qu’Adrian Pino Olivera devant ladite Joconde… à notre corps défendant.
AP22 ou la RGPP au pas de charge !
Après le lancement d’Action publique 2022 (AP22) le vendredi 13 octobre dernier (!) par Matignon, le ministère de la Culture a remis (ou non, selon la ministre) un document de synthèse le 3 novembre, dont Le Monde (14 novembre 2017) et l’Humanité (15 novembre 2017) ont publié certaines conclusions et qui a été mis intégralement en ligne sur le site de la CFDT-CULTURE le 17 novembre 2017.
Cette « Contribution du ministère de la Culture aux travaux de l’action publique 2022 » dite « CAP 2022 » présentant les « pistes de transformation du ministère de la Culture » pose nombre de questions sur l’avenir des politiques de celui-ci. Deux axes concernent le secteur patrimonial : les archives et les musées nationaux du réseau des services à compétence nationale. La ministre, le 4 décembre lors du comité technique ministériel, ou même lors du Conseil national des professions du spectacle le 15 janvier, n’a pas déjugé ou réfuté ce que contient ce document. Elle s’est contentée de nous répéter que ce n’était pas le fond de sa pensée, que ce document n’était pas officiel et que ce n’était qu’un document de travail… Madame la ministre aime les sophismes…
Le problème qui se pose – un parmi tant d’autres – est que ce document est le seul dont les organisations syndicales ont eu connaissance, et qu’à ce jour, il reste une piste de travail pour l’administration. Mais avec quelles évolutions ? Il est dès lors difficile, trois mois après la diffusion de ce document de savoir exactement les voies explorées par le ministère.
Car, comme dans d’autres secteurs, depuis l’arrivée de la nouvelle équipe gouvernementale, le dialogue social est à un point très mort. Ce n’était déjà pas parfait entre 2012 et 2017 mais en l’espèce depuis juin 2017, nous sommes revenus aux riches années de la plus parfaite omerta de la période 2009-2012. En tant qu’organisation syndicale nous ne pouvons donc que réfléchir à l’aveugle et en parallèle à ce que fait l’administration en secret.
Les problèmes liés à la gestion des musées SCN
Le constat fait par l’administration d’un fonctionnement non optimal du réseau des musées SCN est un constat partagé. Les solutions envisagées – ou les pistes – exposées dans le « document action secrète 2022 », elles, ne le sont pas. Car, aujourd’hui la seule politique qui semble vouloir être menée est de « viser à l’efficacité ». Mais de quelle efficacité parlons-nous ? Rendre les musées SCN plus efficaces ? Sont-ils donc si inefficaces ?
Certes, la gestion des musées SCN n’est pas facile. Certes, les musées nationaux connaissent de profondes difficultés. Mais à qui la faute ? Pas celle des équipes (direction, administration, équipes scientifiques, agents d’accueil…) qui toutes continuent d’y croire, malgré vingt ans de restrictions de tous ordres.
Le premier désaccord est donc dans l’exposé même des solutions, puisque, en définitive, ce sont les dix-sept musées seuls et leur organisation (et donc leurs agents) qui sont visés, à des fins destructrices. De plus, au lieu de réfléchir ambitieusement le rôle du ministère et plus particulièrement celui du service des musées de France (SMF), on veut le restreindre dans un périmètre étriqué dont on ne perçoit plus la vocation. Depuis RGPP, et même avant, la relation des musées avec le SMF, n’a jamais été pensée pour être optimale. Et aujourd’hui, en somme, on fait porter le chapeau d’un abandon des missions d’une politique nationale aux musées eux-mêmes ! Comme le dit l’adage : qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage.
Musées nationaux : première démarque !
Avec AP2022, on voudrait tout réformer sans faire un état des lieux précis, on voudrait privilégier des pistes sans même informer les principaux concernés (unir un musée SCN à un établissement public (EP) par exemple sans que la direction de l’EP en ait été avertie…) et surtout, le dialogue avec les agents et les représentants syndicaux n’est absolument pas prévu. Ce n’est pas le Comité technique spécial musées qui s’est tenu le 15 janvier qui peut être qualifié de dialogue social**.
Au-delà de ces considérations, quels détours mystérieux peuvent bien suivre aujourd’hui ceux qui conduisent la réforme au pas de charge et dans le plus grand secret ? Cherchent-ils à donner plus d’efficacité à moyens constants ? À renforcer l’ancrage territorial des établissements en usant et abusant du statut d’EPCC qui a déjà largement montré ses limites ? À les réunir tous dans un improbable établissement public fourre-tout ? Cherchent-ils à les « marier » à de grands établissements publics (Louvre, Beaubourg, Versailles… ) ? Cherchent-ils à revoir les missions de la RMN-GP, quand sa présidente s’est publiquement prononcé contre l’ajout à son périmètre « de six cents improductifs » (sic) issus des musées nationaux-SCN ? Ou encore proposer ces mêmes musées à qui voudra : le Centre des monuments nationaux (CMN) (qui louche déjà sur plusieurs établissements), les collectivités locales… et pourquoi pas l’INRAP*** tant qu’on y est !?
Nous ne savons pas aujourd’hui les orientations vraiment étudiées par le ministère puisque celui-ci a fait le choix de ne pas nous y associer. Néanmoins, nous maintenons que si une réflexion sur le réseau SCN est nécessaire, cela ne doit pas passer par l’explosion de celui-ci en de multiples et différentes structures qui ne garantirait plus une politique muséale nationale.
La réforme des musées nationaux ne passe pas par un nouveau tour de vis budgétaire qu’ils ne sont plus en mesure de supporter. Elle passe par une vraie revue des besoins et une véritable estimation sur les moyens pour y parvenir. C’est, semble-t-il, la véritable voie d’une véritable réforme, mais qui ne serait pas budgétaire mais qui viserait à la mise en œuvre de politiques culturelles efficientes, efficaces, et au service de tous les publics.
Vite, encore plus vite, toujours plus vite !
Pourquoi aller si vite ? Pour que les annonces de réformes de ces musées correspondent aux dates de la remise du rapport Bern (avec ou sans e ?) qui permettra de sauver… quatorze bâtisses « emblématiques » que lui auront signalées les Vieilles Maisons Françaises ? Lui, en tout cas, aura eu six mois pour plancher sur les chefs-d’œuvre en péril.
Pourtant les musées SCN ne sont dans l’affaire « que » les victimes collatérales d’un projet beaucoup plus dangereux pour l’avenir du ministère de la Culture :
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enlever à l’administration centrale les derniers établissements en gestion directe. Vidé de ses fonctions opérationnelles, ce qui restera du service des musées de France pourra, après un ultime dégraissage, tenir aux Bons-Enfants sans avoir à pousser les murs ;
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transférer la fonction ressources humaines (RH) aux établissements publics (EP) ; outre les 600 postes des dix-sept musées SCN qui sortiraient des plafonds d’emplois, on pourra peut-être aussi liquider les services RH de la DGPat, voire du Secrétariat général, puisqu’une réflexion est aussi engagée sur la déconcentration des actes de gestion (confier intégralement aux EP leur gestion RH).
La direction générale des Patrimoines préfère répondre au diktat de la vitesse d’exécution en organisant un simulacre de concertation en son sein, en convoquant les directeurs le 1er février (sans même leur indiquer l’heure exacte, c’est dire la considération dont ils font l’objet), en les sommant de choisir, non pas leur avenir, mais ce qui engage l’ensemble de leurs musées, du statut de la structure aux statuts des agents, et en oubliant sciemment le dialogue social pourtant obligatoire quand ce sont des organisations de travail et des emplois qui sont en jeu !
Dans le même temps, à la même vitesse et dans le même silence, la commission Théodule « comité action publique » (espérons qu’il ne se transformera pas en comité de salut public de la fonction publique) poursuit ses travaux et rendra ses conclusions dès février pour une mise en œuvre dès… mars prochain.
On l’aura compris, la réforme voulue par l’Élysée aux accents très dantonistes « il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France sera sauvée ! » tient au final surtout de la devise shadok : « Doit-on résoudre les problèmes? Non ! Faisons-les disparaître! Mais vite ! ».
La CFDT-CULTURE, le 31 janvier 2018
Téléchargez le communiqué : CFDT-CULTURE – Action publique 2022. Musées SCN : mais que faire des improductifs ? 31 janvier 2017
CFDT-CULTURE – Action publique 2022. Musées SCN : mais que faire des improductifs ? 31 janvier 2017
* Musées SCN, mais qu'est-ce donc ? Ce sont des services émanant de l'administration centrale, dont les attributions ont un caractère national, avec des misions dont l’exécution ne peut être déléguée à un échelon territorial. Ils bénéficient d’une certaine autonomie, mais ne sont pas dotés de la personnalité morale. Autres SCN Culture : le C2RMF, le LRMH, les Archives nationales... Un musée SCN peut être un regroupement de plusieurs musées. Il y a ainsi 14 musées nationaux SCN alors que le réseau concerne bien 17 musées. ** La CFDT n’était pas présente le 15 janvier mais a pu lire les communications des autres organisations syndicales. *** c'est bien entendu un trait d'humour (?)