LOTO DU PATRIMOINE : ROULE MA POULE ! Par le jeu du hasard, Stéphane Bern sauvera-t-il nos monuments ?

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 « Ce que je veux, c’est qu’à la fin de 2018 on ait sauvé, et restauré, c’est restauré !» (Stéphane Bern) 

C’est sous l’œil attendri – et très vigilant – du président de la République que fut signée le 13 février dernier la convention relative à l’utilisation des recettes issues du Loto du Patrimoine entre le ministère de la Culture et la Fondation du patrimoine, en présence de la ministre de la Culture, du président de la Fondation du patrimoine et de la présidente directrice générale de la Française des Jeux.

Stéphane Bern « naturellement » était présent, puisque cette idée de Loto du Patrimoine est la sienne, et qu’il la met en avant depuis que le Président de la République lui a confié une mission sur le patrimoine en péril. Son idée, vraiment ?

Un peu d’histoire parlementaire s’impose… François de Mazières, député-maire de Versailles (et ancien président de la Cité de l’architecture et du patrimoine), défend depuis près de vingt ans le principe d’un loto du patrimoine, repris par les associations de défense du patrimoine, mais en vain… Il avait pourtant obtenu en 2014 la remise par le gouvernement d’un rapport aux parlementaires, qui ne le reçurent qu’un an plus tard. Ce rapport, préparé par les services du ministère de la Culture et de la Communication, en concertation avec le ministère chargé du Budget, concluait « à un rendement trop faible compte tenu du coût de l’opération« . Le projet fut donc aussitôt enterré, d’autant plus que Bercy, et son occupant, le ministre de l »Économie d’alors, Emmanuel Macron, n’y étaient pas favorables.

Comme le dit l’adage, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Certes, mais cela interroge aussi sur le processus mystérieux qui fait basculer une « mauvaise » idée du côté de la « bonne » idée ? Seuls des esprits chagrins avanceraient que la communication présidentielle et les effets d’annonce n’ont pas de prix.

Le ticket du Loto, qui permettra enfin aux français de jouer avec le patrimoine, sera institué lors des Journées européennes du patrimoine au mois de septembre. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce ticket, lui, aura bien un prix. Il faudra en effet sortir pas moins de 15 euros de sa poche pour acquérir le ticket patrimonial à gratter. Stéphane Bern a bien indiqué que « c’est volontairement cher, car c’est une manière de toucher un autre public, autre que celui qui joue habituellement. » Avec cette curieuse approche marketing, n’aurait-il pas été alors plus simple de lancer une ligne de sacs à main Vuitton ou Hermès « spécial patrimoine »?

Le même monsieur Bern, décrit comme un « catalyseur » par la ministre de la Culture, a aussitôt déclaré : « ce que je veux, c’est qu’à la fin de 2018 on ait sauvé, et restauré, c’est restauré, c’est qu’on voie les effets d’une centaine de monuments, dont une vingtaine qui seront emblématiques de ce que je veux faire dans tous les domaines, toutes les typologies, c’est-à-dire pas que le patrimoine des châteaux, des églises, dont on me bassine, au bout d’un moment, ça va, mais il n’y a pas que ça, il y a le patrimoine du XXe siècle, le patrimoine ouvrier, etc. »

L’enthousiasme de M. Bern confine à l’illumination : cent monuments restaurés entre septembre et décembre ! Il n’est pas assuré que ce genre de déclarations le réconcilie avec la direction générale des Patrimoines, que le missus dominicus présidentiel accuse de tous les maux, et surtout d’immobilisme. Car lui, avec sa mission « baguette magique », veut sauver les monuments [i], pas comme ces fonctionnaires vissés à leurs bureaux ! Et il veut le faire vite ! À croire que la manie présidentielle, « vite et maintenant » est contagieuse.

Malgré notre avidité à découvrir le tour magique de la restauration en deux-temps trois mouvements, nous devons encore patienter quelques jours : l’énergique thaumaturge doit remettre son rapport au Président de la République en mars, et nul doute que cela ne souffrira d’aucun retard tant il est nécessaire d’agir vite, vite, et toujours plus vite.

Foin de mauvaise foi et de fine bouche, les bénéfices de ce Loto du Patrimoine, estimés à quinze ou vingt millions d’euros, financeront donc une centaine de projets de restauration. Seul un minuscule « hic » pourrait doucher l’enthousiasme naissant. En effet, le choix sera cornélien, car M. Bern aurait déjà reçu plus de 1.800 dossiers de monuments en péril. Sans être médaille Fields, ce Loto du Patrimoine profitera donc seulement à 5,5% de ces dossiers. Mais, diantre, comment seront traités les 94,5% restants ? Là encore, mystère, mais il ne fait aucun doute que nombre de propriétaires publics comme privés nourriront une légitime amertume, et que le problème du patrimoine restera intact, d’autant que le Loto du Patrimoine n’est pas appelé à perdurer.

Espérons que M. Bern, dont le pouvoir de conviction lui permet miraculeusement de ressusciter des projets jusqu’alors dédaignés ou écartés, ait eu vent d’une mesure qui rapportait quelques petits millions au Centre des monuments nationaux (CMN) pour la restauration des édifices dont il avait la charge : le reversement du produit des prélèvements fiscaux sur les jeux en ligne, à concurrence de 15% et dans la limite de 8 millions d’euros au CMN, adopté en 2010 malheureusement abrogé le 1er janvier 2014 (tiens ! Encore le même ministre de l’Économie, le désormais président Macron, on peut décidément s’interroger sur l’inconstance des hommes politiques). Cette mesure rapportait bon an mal an cinq millions au CMN, évidemment au regard de l’ambitieuse politique de M. Bern, cela peut sembler roupie de sansonnet, mais au pays de la restriction budgétaire qui, comme le gaz, est à tous les étages, et pour un établissement dont les subventions d’investissement n’ont cessé de baisser depuis, ces quelques roupies valaient de l’or.

On l’a bien compris, M. Bern, dans son rapport de sauvetage des monuments en péril, devra sans doute hiérarchiser les priorités. C’est évidemment un exercice difficile, même – ou surtout ? – quand on a reçu une mission du Président de la République.

Mais, avant même la remise de ce fameux et sans aucun doute magistral rapport, cette mission aura connu le succès et, c’est à noter, un sauvetage a déjà eu lieu : celui de la poule noire du Mans, une espèce qui faillit disparaître. Juste retour de l’Histoire, puisque les poules du Mans alimentaient les tables royales, nos rescapées ont été triomphalement accueillies à Versailles… par Stéphane Bern, car, pour reprendre ses propos, « une poule c’est aussi notre patrimoine »…

Tweet de Stéphane Bern le 16 février sur le retour de la poule Le Mans à Versailles

Tweet de Stéphane Bern le 16 février sur le retour de la poule Le Mans à Versailles

[i] Certaines et certains auront pu entendre les propos de M. Bern tenus, entre autres, dans une émission du service public diffusée le 13 février 2018. La vidéo est désormais indisponible mais on peut retrouver l’étalage du fond de sa pensée via de nombreux médias et évidemment sur les réseaux sociaux.

Paris, la CFDT-CULTURE, le 1er mars 2018

Téléchargez le communiqué : CFDT-CULTURE – LOTO DU PATRIMOINE : ROULE MA POULE ! Par le jeu du hasard, Stéphane Bern sauvera-t-il nos monuments ? 1er mars 2018