La Cour des comptes au Mobilier national et manufactures : une vision partielle et partiale, des préconisations irrecevables

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Le rapport public annuel de la Cour des comptes publié le 5 février 2019 comporte trente pages consacrées au Mobilier national et Manufactures. Ce rapport, comme souvent lorsque la Cour des comptes se penche sur des institutions patrimoniales, est un rapport presque uniquement à charge. Inévitablement, ce rapport est très mal perçu par les agents qui y voient une remise en cause de leurs savoir-faire, de leurs compétences et de leur investissement au quotidien dans leurs ateliers.

C’est une manie, la Cour des comptes s’érige, encore une fois, en spécialiste de tout pour dénoncer, déstabiliser, fragiliser. En revanche, la Cour, comme à son habitude évite de s’interroger sur les responsabilités des politiques menées depuis des années par les ministres qui se sont succédé rue de Valois.

Nulle interrogation sur :

  • les décisions politiques néfastes, ou même l’absence de décision politique quant au devenir du Mobilier national ;
  • les situations et les dysfonctionnements fruits d’une carence en effectifs humains, en moyens financiers et budgétaires, conséquences de l’absence de tutelle et d’impéritie de gestion RH.

Évidemment, les préconisations de la Cour découlent de cette vision biaisée. La CFDT-CULTURE souhaite donc apporter son analyse du rapport et rétablir quelques vérités oubliées par la Cour, et apporter son soutien à l’ensemble des personnels vilipendés par ce rapport.

Des situations et pratiques malveillantes et irrespectueuses, minimisées par la direction

La CFDT-CULTURE a alerté et dénoncé des pratiques qui ont cours dans certains ateliers. Aujourd’hui nous faisons le constat des dégâts que ce type de situations, non résolues, entraînent : elles deviennent le terreau qui nourrit la remise en cause de nos savoir-faire et de nos compétences. De situations atypiques la Cour fait la règle, et cela affaiblit tous les agents et toute l’institution, alors même que cette dernière (mais ce n’est surtout pas évoqué dans le rapport) est plébiscitée par le public lors des JEP 2018 ! Était-il utile pour autant de jeter l’opprobre sur l’ensemble des agents tout au long de ces trente pages ? Ce phénomène produit un sentiment d’injustice pour les uns, et d’impunité pour les autres, et n’encourage pas les agents de la filière des métiers d’art à s’investir, à s’impliquer, et à partager des projets et à s’ouvrir au changement.

Sans entrer dans les détails, nous souhaitons remettre un peu de vérité dans les faits évoqués par les rapporteurs.

Ainsi, sur ce que la Cour des comptes considère comme de l’absentéisme, la CFDT-CULTURE déplore que l’analyse à charge ne tienne pas compte de la corrélation des absences (et non du seul absentéisme) des agents avec les cas de souffrances au travail non traités par la direction. De même, l’absence ou la médiocrité des adaptations des postes de travail, auxquelles s’ajoutent les problématiques des gestes et postures répétitifs, sont sources de TMS sévères. Dans certains services, cela conduit à des incapacités de ports de charges lourdes, voire à l’inaptitude

Concernant la désormais fameuse « perruque », la Cour des comptes décide de tourner un cas en un sujet typiquement racoleur, et en fait porter les conséquences à l’ensemble des 360 agents. La « perruque » est décrite comme « une activité où l’agent effectuerait des travaux personnels sur son lieu de travail (ici les ateliers). Elle spécule sur le fait que ce travail est source de revenu, qu’il est mené pendant les heures de travail, sans contrôle, allant même jusqu’à remettre en cause le cantonnement des stocks de matières premières.

Inutile de préciser que faire porter sur la réputation et l’honnêteté de la totalité des personnels les dérives exagérées d’un seul agent, donne encore une fois une image extrêmement négative de l’institution. L’exagération outrancière de la mise en avant de ce cas ne sied pas à une institution comme la Cour, qui s’emploie à dénigrer ainsi l’ensemble des personnels. C’est une injustice qui est particulièrement mal venue quand on connaît l’investissement des agents dans leurs différents ateliers.

La Cour semble s’alarmer que les agents puissent bénéficier d’une dotation vêtement.

La CFDT-CULTURE rappelle que la dotation de vêtements de travail est obligatoire et que c’est la fonction de l’agent qui l’impose afin qu’il puisse être en règle en matière d’hygiène et sécurité.

Pour les « bons de vêtement de ville », c’est encore une fois la fonction de représentation de l’agent qui dicte cette dépense. Si la Cour des comptes constate que « le nombre et la nature des commerces accessibles pour ces achats ne garantit plus qu’il s’agisse de dépense d’habillement » , la CFDT-CULTURE rappelle que c’est à l’administration d’inclure le moyen de vérification concernant le bon usage de cette dotation. La CFDT-CULTURE juge particulièrement malveillante l’idée que la Cour des comptes puisse préjuger de la malhonnêteté des personnels à ce sujet. De plus, nombre de personnels sont favorables à l’idée d’un vêtement de travail monogrammé MN identifiable lors des déplacements sur sites. Que dirait-on si soudainement une partie de la population se mettait à réclamer des comptes sur les dépenses de représentation des membres de la Cour ???

L’alcool au Mobilier national

L’abus d’alcool sur le lieu de travail est un fléau que de nombreux établissement publics doivent combattre. Le Mobilier national n’est pas épargné. La CFDT-CULTURE souhaite accompagner une démarche sans tabou qui touche à la santé et à la sécurité des personnels. Notre administration a connaissance de ces pratiques qui malheureusement perdurent. Des alertes sur des pratiques abusives pendant et en dehors des heures de service ont été faites par nos représentants du Mobilier. Nous avons déjà demandé la mise en place – comme cela existe ailleurs – d’une charte « alcool » qui rappelle les devoirs de chacun : ceux de l’agent mais aussi ceux de la direction qui doit aussi agir lorsqu’elle a connaissance de tels faits. Continuer de croire que les addictions sont absentes du lieu de travail est une illusion qui est dangereuse pour tout le monde.

La Cour des comptes et les métiers d’art ? C’est « voyage en terre inconnue »

Pour le dire vite, la Cour des comptes, ne comprend pas grand-chose aux métiers d’art. Savoir-faire dépréciés, compétences et expertises dévalorisées, agents de la filière des métiers d’arts qualifiés de « main d’œuvre », mépris pour des métiers au savoir-faire ancestral (la dentelle à l’aiguille par exemple), méconnaissance des spécificités de chacune des spécialités, la Cour des comptes égrène des critiques comme un chapelet d’évidences… qui n’en sont pas.

Encore une manie de la Cour des comptes : la seule dynamique envisageable est celle de la recherche de la performance et de l’efficacité économique. Une fois de plus, lorsqu’il s’agit d’une institution patrimoniale, la Cour passe à côté du rôle de la culture dans la société. Ils oublient allègrement du haut de leurs calculatrices géantes, que le rôle du Mobilier national consiste entre autres à la transmission de savoirs faire uniques conservés par l’institution, et transmis par les hommes et les femmes qui y travaillent avec passion, enthousiasme et engagement.

Les agents de la filière métier d’art du mobilier national toutes spécificités confondues, n’ont pas comme but d’imposer leur vision du travail et des techniques. Ils sont en lien constant avec les inspecteurs, les conservateurs, les artistes dans l’unique but d’apporter une valeur ajoutée à leur travail.

Une institution reconnue nationalement et internationalement

La Cour des comptes semble oublier – ou peut-être ne le sait-elle pas ? – c’est que le Mobilier national, par son expertise et la recherche permanente de ses agents dans l’acquisition de techniques, est une collection vivante, unique de savoir-faire des métiers d’art. Elle bénéficie d’une reconnaissance nationale et œuvre au rayonnement international de la France. Le Mobilier national n’est pas le sombre lieu décrit par les rapporteurs : c’est un lieu où les techniciens accueillent et soutiennent l’apprentissage, participent grâce aux filières techniques à créer de l’emploi, et font vivre des artisans d’art rares par la commande publique.

La CFDT-CULTURE rappelle que les personnels du Mobilier national ne doivent pas être les dégâts collatéraux de la faible mobilisation de la tutelle, du changement incessant de directeurs qui se succèdent trop rapidement pour penser une organisation de service sur du long terme. L’institution paye aujourd’hui des projets de service inaboutis (tant dans leur conception que dans leur mise en œuvre). Il est vrai – et cette fois la Cour a raison- que le rattachement à la DGCA et non à la DGP peut interroger sur les aspects de conservation des collections. Mais cela ne poserait pas de problème si la tutelle jouait véritablement son rôle.

La constatation que la DGCA n’a pas daigné répondre au pré-envoi du rapport est un signe de cette distension.

« Des collections pléthoriques et insuffisamment documentées. »

La CFDT-CULTURE tient à préciser que le Mobilier national, sous-doté budgétairement, n’a jamais été financièrement à même de mener à bien un « chantier des collections » dans sa globalité. Son volume, la richesse et la diversité de ses collections devraient cependant rassurer la Cour des comptes sur la sécurisation du site souhaité par la CFDT par le biais de carte magnétique à accès restreint… (qu’il faut encore financer…).

« Un patrimoine mal entretenu et dont l’enrichissement n’intéresse plus guère ! »

La Cour des comptes fait une fois encore des raccourcis entre les coûts de restauration publique et privée. Cette mise en concurrence est déloyale, alors que les services concentrent prioritairement les dépenses privées pour des objets secondaires ou des tâches qui ne sont pas pratiquées au MN (dorure, finitions, etc.). Ce fonctionnement public/privé ne doit pas s’opposer mais être complémentaire.

La Cour des comptes constate que « l’appétit des services pour les objets du mobilier s’explique en partie par leur quasi-gratuité ». Ce n’est pas en adéquation avec ce qu’elle indique par la suite sur le fait que les modalités (financières) ne permettent pas d’obtenir le consentement systématique des dépositaires des travaux de restauration. Allant jusqu’à rendre responsable les services du Mobilier National du non-retour des œuvres « abîmées ».

La CFDT-CULTURE constate que ce sont les institutions dépositaires qui ne respectent pas les textes en ne donnant pas suite aux devis de restauration que la loi leur impose de payer et non l’inverse.

La CFDT-CULTURE rappelle que les textes précisent qu’il est de la responsabilité du dépositaire de payer les restaurations en amont et aux retours des œuvres. Ce que beaucoup se dédouanent de faire, créant une perte sèche en matière de ressources propres que le budget du Mobilier national doit « compenser voire éponger ».

La dégradation du patrimoine du Mobilier n’est pas due au fonctionnement interne de l’institution mais à la négligence des dépositaires peu soucieux de l’entretien des œuvres prioritairement destinées à la représentation. Peu ont des notions concernant la conservation du patrimoine qui leur est confié et de la responsabilité qui leur incombe. Ce manque de culture de l’objet d’art ne leur permet pas d’objectiver leurs demandes ni d’anticiper les coûts occasionnés par les mauvaises pratiques et utilisations que subissent les objets déposés.

Enfin, chacun a pu mesurer le cadre de confidentialité dans lequel le projet Balard pour le ministère des Armées a été élaboré. Le caractère opaque et confidentiel n’a évidemment pas permis à l’institution de se mettre sur les rangs. Il n’empêche que de nombreuses propositions ont été faites spécifiquement pour cet établissement.

Considérer le patrimoine immatériel du MNGBS comme une marque d’obsolescence c’est être dans la négation du passé culturel français. Rappelons à la Cour des comptes qu’aujourd’hui, vu les destructions massives du patrimoine culturel que nous avons pu constater ces dernières années pour cause de guerre, il est bon de rappeler qu’un pays qui renie son passé, est un pays sans avenir. Surtout quand on sait que la France, premier pays visité au monde grâce à sa diversité culturelle tant ancienne que contemporaine est enviée de tous. L’engagement de l’État pour la conservation de son patrimoine et de ses savoir-faire a des retombées économiques formidables que nous nous devons de rappeler.

La guerre des colles ou la remise en cause des choix techniques de restauration

La Cour des comptes remet en cause les choix techniques de restauration sans tenir compte du vécu des biens mis en usage constant depuis leurs créations et ayant traversés les siècles, subissant des transformations voulues par les souverains successifs les utilisant et les mettant au goût du jour comme objet d’usage et de prestige et recourant très tôt à des interventions irréversibles au regard de l’évolution de la déontologie de conservation mise en place plus récemment. Il ne faut pas oublier que l’exploitation de pièces muséales présentées en expositions et manipulées intensivement n’est pas particulièrement propice à leur conservation. Notons que les œuvres (textiles) ne bénéficient que rarement, des temps de repos nécessaires à leur conservation.

Les techniciens du Mobilier national sont plus que jamais sensibles à l’évolution des techniques de restauration. Néanmoins, ils souhaitent également que des protocoles de formation croisées entre services et l’INP soient envisagés, afin de répondre à la demande croissante des techniciens.

Le Mobilier national et ses manufactures, regroupés dans la même volonté de conservation de techniques traditionnelles et modernes œuvrant tant dans la création contemporaine que dans la conservation de ces techniques, a su s’ouvrir aux publics et apporte régulièrement son soutien technique et son expertise aux collectivités territoriales, au CMN, ou sur les collections d’institutions comme les arts décoratifs. Tous les ministères, institutions ou palais de la République bénéficient au quotidien de l’intervention sur leurs œuvres patrimoniales des agents du Mobilier national.

La Cour oublie aussi que le Mobilier national, en alliant décor de style et mobilier contemporain chez nos dépositaires, est l’une des rares institutions à faire entrer et faire vivre des œuvres d’artistes dans nos collections mais permet aussi de croiser les aspects patrimoniaux de nos pratiques et la création contemporaine.

L’exemple du projet Baselitz.

La position de la CFDT-CULTURE sur ce projet est beaucoup plus nuancée.

Consciente de la très grande notoriété de l’artiste, l’achat d’un carton (ou d’une œuvre) destinée au tissage restait inimaginable pour notre institution. L’approche de la CFDT-Culture reposait sur une négociation avec l’artiste d’une autorisation de tisser une de ses œuvres au titre d’un mécénat, ou à titre gracieux, afin de soutenir une démarche généreuse qui offrait la possibilité à l’artiste de rentrer dans les collections françaises et être valorisé par un futur dépôt prestigieux… Encourageant ainsi une démarche plus généreuse que coûteuse. D’autre part, la CFDT-Culture souhaite que soit développé le soutien aux artistes en devenir, et milite pour des choix plus courageux en matière de « découvreur de jeune talent », plutôt que choisir et valoriser des valeurs sûres. La CFDT-CULTURE rappelle également que le choix de l’œuvre retenu était la propriété d’un collectionneur privé et que la « problématique » des droits n’a pas permis d’étudier plus avant le projet. Enfin, ce principe de négociation à la carte, propice au « marchandage » ne nous semble pas pertinent et équitable vis-à-vis des autres artistes devant se plier au tarif imposé pour les prochains projets de carton.

Aliénation de la collection

Une fois de plus, la Cour des comptes ne comprend pas les métiers de la culture (c’est un mal récurrent). Ainsi, se baser sur des constats à court terme pour juger si un objet est pertinent ou non dans une collection est une aberration. Il est dangereux de se baser sur le marché, l’offre ou la demande, les notions de bon ou mauvais goût, et encore plus sur la réflexion purement budgétaire de l’intérêt de restaurer ou non un objet. C’est par son volume, sa variété et sa diversité, plus que par sa valeur intrinsèque qu’une collection se construit. Gardons aussi les moyens de permettre aux générations futures de trouver matière à étudier et à travailler dans nos collections.

L’emprise immobilière

La CFDT-CULTURE rappelle à la Cour des comptes que notre établissement n’a pas pour vocation de générer des ressources propres. Il ne produit pas pour la vente, ce n’est pas un musée, la comparaison hâtive avec la manufacture de Sèvres est faussée.

Les locations d’espaces ne sont pas la vocation première – ni même secondaire – du Mobilier national. En revanche, pouvoir y conserver ses collections l’est. La Cour ne semble pas réaliser les aspects chronophages des locations d’espaces.

Pour ce qui est de la gestion du parc immobilier de l’État, c’est un marronnier que la Cour aime à ressortir en toute occasion. Il n’est donc pas très étonnant qu’elle s’attaque au Mobilier National. L’idée que déménager résoudrait les maux de l’institution est une préconisation de maquignon.

La CFDT-CULTURE rappelle également le caractère historique du site et il est indécent de penser que le Mobilier national n’aurait plus sa place sur un site parisien. Les métiers d’arts et les techniciens d’art ont toute leur place dans Paris, au même titre que la formidable implantation de la rue Cambon.

Sans être grands clercs, il n’est pas difficile de lire entre les lignes : la surface occupée par le mobilier national dans le 13e arrondissement suscite un intérêt tellement puissant des promoteurs immobiliers que tout est bon pour dire que rien ne va au Mobilier national…

Les conclusions et les préconisations de la Cour des comptes sont biaisées, en considérant que rien ne va dans cette vénérable institution. On constate surtout une forte volonté de démanteler l’institution, d’évincer les personnels de la filière des métiers d’art au profit de la délégation et de la sous-traitance : en bref on veut bien le prestige de l’institution mais pas plus.

La CFDT-CULTURE condamne la volonté de scission des services en trois pôles (très mal identifiés dans leurs rôles et leurs fonctions) et leur délocalisation.

Personne ne sort grandi par le tapage médiatique. Les agents publics de la filière des métiers d’art, vraie force vive de cette belle institution sont choqués par autant de mauvaise compréhension de leurs métiers et de leur investissement au quotidien.

La CFDT-CULTURE, dont la représentativité a très largement progressé lors des derrières élections professionnelles de décembre 2018 au sein du Mobilier national, comprend qu’une grande partie des personnels est consciente que l’établissement doit évoluer et s’inscrire dans une politique de changement et d’ouverture. La CFDT-CULTURE, syndicat volontaire dans l’accompagnement du changement, souhaite que le Mobilier national puisse se doter rapidement d’un projet de service clair et surtout budgété en conséquence pour que le Mobilier puisse effectuer ses missions dans des conditions de travail normales.

Paris le 14 février 2019