« Qu’il ferme sa gueule et que nous avancions en sagesse pour que nous puissions sereinement faire le meilleur choix pour Notre-Dame » : c’est en ces termes fleuris qu’à la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le général – à la retraite- Georgelin[1] parlait de Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques en charge du chantier de Notre-Dame de Paris. Cause de cette parole excessive : Philippe Villeneuve s’était exprimé publiquement, fort de son autorité et son expérience professionnelles, en faveur d’une restauration à l’identique de la flèche de Notre-Dame, et non d’un « geste architectural » évoqué par le président de la République, sans information ou concertation avec les services du ministère de la Culture.
Le général Georgelin est le futur président de « l’établissement chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris », et comme conseiller spécial du président de la République et préfigurateur de l’établissement public, il a déjà beaucoup travaillé depuis avril dernier. La preuve ? Il est « allé dans les chantiers du Grand Paris », notamment celui « extraordinaire d’une gare sous le CNIT », il a même rencontré des grandes entreprises de construction qui lui ont indiqué que pour 600 millions d’euros, on pouvait « construire une grosse tour de la Défense ». Avec 992 millions de promesses de dons, le général a conclu que le budget du chantier de Notre-Dame tiendra dans l’enveloppe budgétaire…
Pourquoi alors s’embarrasser de l’expression d’un ACMH, de prendre en considération les doctrines de restauration, de respecter et prendre en compte les compétences et l’expérience des agents du ministère de la Culture ? Le ministère de la Culture , à quoi sert-il ? L’exécutif a préféré créer de toutes pièces un établissement public improbable dans son montage, mêlant par exemple agents de droit public et salariés de droit privé, plutôt que de renforcer administration centrale du ministère, la DRAC Ile-de-France ou ses SCN, dont les agents s’emploient depuis le 15 avril, et à toute force, de sauvegarder ce qui peut l’être de Notre-Dame. Ceux qui voudront s’engager dans les bataillons du général seront assurément les bienvenus, mais qu’ils sachent que les places seront chèrement disputées, le général ayant reçu, dit-il, déjà plus de mille candidatures spontanées. Et les effectifs de l’établissement seront limités : une quarantaine de personnes, dont naturellement notre général, mais aussi un directeur général[2] et trois directeurs. 15% des effectifs de l’Ep seront affectés à sa direction : un record ! Rappelons au passage que les frais de fonctionnement de l’établissement public, dont les salaires, seront prélevés sur la souscription nationale : les milliers de donateurs apprécieront d’avoir participé à leur insu à la création d’un établissement public intégralement dépendant de la charité publique.
Les déclarations du général Georgelin à l’Assemblée nationale sont une offense faite aux agents du ministère de la Culture, à laquelle Franck Riester se doit d’avoir une réaction ferme et claire, autre qu’un petit gazouillis sur la toile. La commission des affaires culturelles du Sénat a pour sa part publié un communiqué considérant « que les conditions ne sont désormais plus réunies pour que le préfigurateur soit en capacité de fédérer autour de ce projet d’une ampleur sans précédent les différents acteurs chargés d’entreprendre, dans les meilleurs délais, la reconstruction de ce joyau de notre patrimoine national et de respecter les compétences dévolues à chacun d’entre eux par la loi ». Autour de Notre-Dame, la pollution n’a pas été que celle du plomb : elle est celle des décisions arbitraires et sans fondements qui nient les missions du ministère et de ses agents. « Une cacophonie excessive », « un tohu-bohu » comme le décrit un expert… un certain Georgelin !
[1] Saint-cyrien, général d’infanterie, chef d’état-major particulier du président de la République (2002-2006), chef d’état-major des armées (2006-2010), grand chancelier de la Légion d’honneur (2010-2016), et accessoirement membre du club Le Siècle, oblat d’une abbaye bénédictine et membre de l’Académie catholique de France. Nommé conseiller spécial sur la restauration de Notre-Dame auprès du président du République le 17 avril 2019, et nommé le 27 septembre 2019 préfigurateur de « l’établissement chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ». Le général sera évidemment le président de ce dernier établissement, qui sera créé par décret le 1er décembre prochain et dont le premier conseil d’administration aura lieu le 3 décembre. Un article cousu main a été écrit dans la loi du 29 juillet 2019 créant l’établissement public : le président n’est pas soumis à la limite d’âge, et peut espérer rester onze ans de mandats consécutifs. Aujourd’hui âgé de 71 ans, notre général cesserait ses activités de président de l’EP à 82 ans ? Non à la maltraitance des seniors !
[2]En l’occurrence un autre homme de patrimoine : Philippe Jost, polytechnicien, ingénieur général hors classe de l’armement.
La CFDT-CULTURE, Paris, le 15 novembre 2019