Nous avons évoqué précédemment le changement de messagerie au profit d’Outlook, dont nous regrettons la complexité et certaines régressions fonctionnelles qu’il apporte, sans parler de l’ancrage dans la nébuleuse technique de Microsoft qu’il impose. Cela revient à se lier à un seul éditeur, une entreprise privée américaine dont on peut s’interroger sur ses pratiques. Choisir un logiciel, ce n’est pas que faire un choix technique ; c’est aussi faire un choix politique et philosophique. Ici, on s’est réfugié dans le choix de la facilité du propriétaire, tout en renonçant à certaines libertés. Une servitude volontaire en somme.
Ce qui peut rendre le changement de logiciel encore plus difficile à supporter, c’est la philosophie du ministère de la Culture, qui a évolué tout aussi radicalement en dix ans. Auparavant, le ministère avait fait des choix audacieux en misant sur les logiciels libres, en particulier à travers le déploiement du triptyque LibreOffice/Firefox/Thunderbird qui étaient sans doute jusque-là les trois outils les plus utilisés au quotidien par la majorité des agents.
Pourquoi était-ce audacieux ? Parce qu’en règle générale, les logiciels libres sont développés et maintenus par des communautés de développeurs et d’utilisateurs, ou des fondations, et non par des entreprises privées, sans que le but lucratif ne prédomine. Leur pérennité semble donc moins assurée, car celle-ci dépend de l’investissement de ces communautés et des financements dont elles peuvent bénéficier. Mais la contrepartie est la démarche de transparence de l’éditeur du logiciel et l’ouverture à un ensemble d’acteurs extérieurs désireux de joindre leurs efforts pour améliorer les outils. La communauté a un poids plus important sur l’évolution du logiciel, et les administrations peuvent faire partie de ces acteurs, comme le montre le groupe MIMO (Mutualisation interministérielle pour un environnement de travail ouvert) qui réunit des ministères désireux de mutualiser leurs efforts pour participer à la maintenance et au développement de fonctionnalités dans les logiciels libres, et promouvoir leur utilisation dans un environnement administratif, pour, entre autres, diminuer les dépenses publiques tout en améliorant le service aux utilisateurs.
N’est-ce pas moins cher de déployer des outils libres ? Souvent, le libre est synonyme de gratuit dans les esprits. S’il est vrai que certaines licences des logiciels libres permettent de les exploiter gratuitement, contrairement au modèle propriétaire de Microsoft, des fonctionnalités peuvent aussi s’avérer payantes. Et la gratuité a toujours un coût ; elle suppose que l’institution ait les moyens techniques et humains de déployer les logiciels, les paramétrer et les faire migrer. Mais cela a au moins la vertu de maintenir des compétences techniques en interne.
Pourquoi est-il intéressant d’utiliser les logiciels libres ? La liberté réside surtout dans la possibilité d’accéder au code du logiciel, voire de le modifier et de l’adapter à ses besoins (ici aussi, tout dépend de la licence). Les améliorations liées à la modification du code peuvent elles-mêmes être reprises ensuite par la communauté. Cette transparence du code est intéressante pour comprendre ce que fait vraiment le logiciel et ainsi garder la maîtrise de son environnement informatique.
En outre, les logiciels libres reposent aussi souvent sur des formats de données normalisés, c’est-à-dire documentés, ce qui permet de comprendre leur fonctionnement. C’est par exemple le cas de la suite LibreOffice dont les formats sont décrits par la norme ISO open document. Comprendre et maîtriser ses données, c’est garantir leur lisibilité et leur accessibilité sur le long terme, leur pérennité en somme. Rappelons que le ministère de la Culture, via le réseau des Archives de France, a précisément pour mission de préserver les données des administrations, et qu’à ce titre, ce serait donner un bon signal que d’utiliser des outils interopérables et des formats de données non verrouillés ! Car ne nous leurrons pas, les formats de données de Microsoft, dont la normalisation a été arrachée au forceps, sont bien plus complexes à comprendre et à préserver ; cette normalisation ne permet pas vraiment de s’affranchir de Microsoft, dont l’intérêt est précisément de retenir ses clients.
La CFDT-CULTURE, Paris, le 10 décembre 2019
Télécharger l’épisode 2 : CFDT-Culture – Outlook : quel message nous envoie le ministère. Épisode 2, de la servitude volontaire. 10 décembre 2019
Télécharger l’épisode 1 : CFDT-Culture – Outlook : quel message nous envoie le ministère. Épisode 1, plus de complexité, moins d’efficacité. 6 décembre 2019