Lors de la journée nationale du Souvenir Algérie-Maroc-Tunisie du 19 mars dernier, le président de la République a prononcé un discours évoquant à plusieurs reprises les Archives et en lançant notamment l’idée d’une nouvelle grande collecte : « En 2016 également, une « Grande Collecte » des archives privées – et je sais que beaucoup d’associations en ont à leur disposition à travers les membres de leurs associations – oui, je demande que cette Grande Collecte puisse être consacrée au souvenir de la France d’outre-mer, de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie. »
La traduction qu’en a faite le Service interministériel des Archives de France est pour le moins singulière : « Comme l’a annoncé le Président de la République dans son discours du 19 mars dernier, cette nouvelle édition [de la « « Grande collecte »] sera consacrée cette année aux relations entre l’Afrique et la France aux XIXe et XXe siècles » ; cette Grande collecte se déroulera du 18 au 20 novembre et deviendra par ailleurs une « grande manifestation annuelle » (message du directeur, chargé des Archives, à l’ensemble des services d’archives).
Si l’idée d’instaurer « une journée consacrée aux Archives, qui prendrait la forme d’une invitation à la rencontre de nos métiers, de nos services et de nos fonds » est en soi positive, reste que cet appel pose un certain nombre de questions.
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Celle d’abord, de la date, dont le choix n’est pas évident : il existe déjà une journée internationale des archives, le 9 juin ; pourquoi choisir une date qui a priori n’évoque rien ? Les journées du patrimoine sont européennes, la « nuit des musées » aussi, les Archives craindraient-elles de sortir de leurs frontières ?
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Celle de la thématique : si l’annonce du président de la République avait un sens précis (le « souvenir de la France d’outre-mer », et trois pays en particulier), l’ambition est devenue immense, et quasiment démesurée : on s’étend à toute l’Afrique, et foin de la France d’outre-mer, soyons carrément expansionnistes !
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Celle du public touché : le discours présidentiel cite nommément, et plus sagement, les associations. Les Archives de France, quant à elles, s’imaginent en rassembleuses tous azimuts.
Un continent entier, tous ses aspects, tous ses ressortissants ; l’ensemble de ses relations avec la France sur deux siècles. Là aussi, l’idée est généreuse, s’il s’agit de toucher le plus grand nombre. Sauf qu’un projet de cette envergure se prépare, et qu’il ne suffit pas de le lancer deux à trois mois avant (l’été ne compte pas en termes de communication) pour avoir des résultats intéressants. Il faut aller à la rencontre de beaucoup, échanger, expliquer, convaincre. Comment peut-on imaginer qu’une campagne de communication aboutissant à un week-end de visite peut être réellement efficace ?
Ce genre d’appel pose aussi une question de politique générale : on ne cesse ces derniers temps de nous dire, jusque dans les médias, que nous conservons trop d’archives publiques, que les bâtiments, de l’État comme des collectivités, sont saturés. La conséquence est que, actuellement, on freine les entrées d’archives publiques. Peut-on à la fois affirmer qu’il n’y a plus de place pour les archives publiques et, en même temps, attirer des documents de toute sorte, d’un intérêt forcément inégal, disparates, dans un état de classement voire d’identification problématique ? Et systématiser cette opération de « Grande collecte » en la rendant annuelle ?
Ne nous leurrons pas : la récolte des archives privées dans ces conditions d’impréparation se fait forcément au détriment des archives publiques, par l’investissement que cela demandera aux archivistes et peut-être par la place que ces documents occuperont dans des dépôts saturés ou en voie de l’être.
L’appel fait allusion à la possible numérisation des documents qui ne seraient que prêtés par leur détenteur. On se creuse la tête pour comprendre les objectifs d’une telle idée : transformer les services d’archives en officines de reproduction et de conservation de copies ? Notre mission n’est-elle pas de conserver le patrimoine, c’est-à-dire des documents « originaux » et non des copies sur un support dématérialisé ou autre ? Imagine-t-on la même politique pour un musée ? Je vous prête tel tableau pour que vous en fassiez exécuter une copie mais je conserve l’original ?
Les archives privées entrent dans les collections publiques pour enrichir les archives publiques. En aucun cas elles ne peuvent y entrer au détriment des archives publiques.
Est-il nécessaire de rappeler que la collecte d’archives publiques est réglementaire et qu’elle permet de garantir les droits des citoyens et contribue au bon fonctionnement de l’administration, en plus de constituer des sources pour la recherche historique ?
De bonnes intentions n’aboutissent pas toujours à une bonne action. L’enfer en est d’ailleurs pavé, dit-on.
Alors, oui à un rendez-vous régulier des Archives et des populations, oui à des campagnes de collecte, mais tout cela mérite d’être construit et pas ainsi précipité.
CFDT-CULTURE, section Archives
Paris, le 27 juillet 2016
Télécharger le tract : CFDT-Culture : Grande collecte, ils sont tombés sur la tête !