L’année 2022 s’annonce au ministère de la Culture comme l’année du 100 % dématérialisation. Cette migration de notre organisation et de nos procédures administratives dans des environnements numériques représente une étape importante de la transition numérique au sein de notre administration.
La mise en place de cette nouvelle infrastructure numérique intervient dans un contexte de transformation plus globale du travail. La crise sanitaire a en effet requis de nouvelles façons de travailler dont le télétravail et les réunions en visioconférences sont parmi les aspects les plus concrets et les plus emblématiques. En réponse à une situation inédite, des nouvelles conditions de travail se sont imposées ces deux dernières années et la nature même du travail a peut-être été changé.
Quels que soient nos métiers et catégories d’emploi, notre travail est devenu un travail immatériel de traitement et d’interprétation de l’information. Depuis 2020, notre environnement numérique de travail s’améliore avec la mise à disposition d’ordinateurs portables, d’outils collaboratifs, de plateformes de téléconférence. Mais dans le même temps, le monde en deux dimensions des réseaux et des plateformes semble avoir pris le pas sur le monde en trois dimensions du contact humain et de la relation sociale. Ce qui a pu être ressenti comme une perte de formes de sociabilité et d’échanges au travail au sein du ministère s’est reproduit avec nos interlocuteurs à l’extérieur avec une mise à distance des territoires, des situations concrètes, et plus généralement du rapport humain. Cette expérience subite du travail « tout numérique » a révélé par contraste l’importance de la proximité et du contact dans la réalisation de nos missions.
Cette nouvelle configuration du travail, qui coïncide aujourd’hui avec la finalisation de la dématérialisation des procédures incitent la CFDT-CULTURE à ouvrir un chantier permanent de réflexion sur la question du numérique. Ce chantier nous semble important et urgent à ouvrir : alors que le numérique s’impose à tous par un jeu de circonstances ou par l’application progressive de la numérisation de procédures, la manière dont le numérique s’installe en définitive comme une infra-structure et un environnement de travail et un système d’information reposant sur la circulation de données mérite éclaircissements, débats, questions… Une logique d’ensemble se met en effet en place dont la feuille de route est la stratégie numérique du ministère. Celle-ci demande à être mieux connue et partagée, débattue et questionnée.
C’est en effet au sein de cette stratégie numérique du ministère que se récapitulent et s’agencent des transformations qui sont souvent vécues de manière morcelée : la modification de l’environnement de travail, la dématérialisation des procédures, le développement d’une politique de données, l’accompagnement de nouvelles compétences et de nouveaux métiers participent d’une logique d’ensemble qui vont transformer non seulement la manière de faire de la politique culturelle, mais probablement les politiques culturelles elles-mêmes.
À la transition numérique, c’est-à-dire au passage dans des environnements numériques d’activités préexistantes, s’ajoutent de plus en plus des dynamiques propres au numérique, comme la mise en place d’une politique de la donnée et des contenus culturels. Le Pass Culture peut être compris comme un élément préfigurateur de cette logique. Cette évolution reposera sur le développement de nouvelles compétences et de nouveaux métiers. Cette stratégie numérique imagine une politique culturelle dont le pilotage et l’action reposeraient sur le collectage, le traitement et l’interprétation de données. La manière dont le numérique pourrait changer la politique culturelle elle-même est à ce stade une boîte noire de la stratégie numérique.
Attachés aux missions du ministère de la Culture, à la diversité des métiers qui la font vivre, nous pensons que ces mutations engagées de l’environnement du pilotage des politiques culturelles devraient être mises en dialogue et mieux partagées. Elles devraient également être mieux relayées au sein des diverses composantes du ministère. Nous appelons de nos vœux une meilleure pédagogie des enjeux du numérique pour la culture.
Edgar Morin s’inquiétait dans La Méthode « d’un formidable développement en réseau de la cérébralité artificielle ». Il semble que la politique culturelle est à la veille de s’imbriquer dans un nouvel âge de la connaissance où les savoirs seraient réduits à la logique réductive des machines et de l’information.
La rhétorique de la productivité, de la fluidité et de la transparence de l’action publique qui préside aujourd’hui à la dématérialisation est à courte vue. Elle est l’écume de courants invisibles et plus profonds qu’il est urgent de mieux cerner et interroger. Cette transition technique est aussi une transition socio-technique et techno-économique et même, sans doute, épistémologique. Le pilotage de politiques publiques à partir de données implique en effet de nouvelles formes d’observation, de rationalité et de savoir.
C’est pourquoi, régulièrement, la CFDT-CULTURE reviendra vers vous pour exposer ces enjeux autour du numérique qui apparaissent sans cesse plus décisifs pour la conduite de nos futures politiques culturelles et sur lesquels il importe d’exercer une vigilance accrue.
Paris, le 6 janvier 2022